Francine Laugier

Correspondance - 2020-21





CORRESPONDANCE


J’écrirai un jour sur la bruine.

Un jour pâlot qui éclaire mon visage, blanc comme la lune, perdant ou gagnant ? Froideur, chaleur. Froid, chaud, tiède. Douceur des tons de l’air, même dans la couleur du ciel bleu clair acier.

Comment craindre encore ses ennemis ! La lutte infini.


Je ne sais rien de toi. Je ne sais si tu es un camarade où un ennemi. Je ne sais.


L’écriture peu contenir du positif et du négatif. Le plus négatif qui soi. Cela dépend de comment on le prend. Si l’on est positif on ne le prend qu’en positif et c’est beau.


Le mot d’esprit, l’humour n'atteignent jamais la joie, tout deux le plaisir.


Je tends vers l’utilitarisme. Les outils, les machines nous nous en servons. Nous essayons d’être soigneux.


J’aurai tant aimé qu’un humain me réponde.


Il y a de l’histoire. On ne fait jamais totalement table rase. Sinon faire tomber une civilisation. Mais tous les enfants apprennent la table de multiplication, les fractions... On prend aussi aux autres : les chiffres arabes, l’algèbre...


Pour les Japonais tout est écriture.


« Nous sommes les vagues dans un même océan ». Chine.


–----------------------------------------------------------


Les mots dans ma tête qui heurtaient, d’une immense résonance explosive. Les mots dans ma tête, fuir, fuir ce crime.

Du mistral sur le pont des Cévennes, pour la beauté des choses soulever les jupes des jeunes-filles.

La lumière qui se brise sur la vitre et qui fais joie dans ma pièce. Ce jour sacré qui envahit de beauté, ma beauté aussi d’aimer. La lumière éclaire mon visage.


« Le plaisir est souvent momentané ».disait une jeune femme. Parfois la vitesse de l’éclair le plaisir intellectuel, jouissance de la compréhension. Parfois insoutenable, dans la durée.


La chanson d’un chanteur populaire disait « Détruire le malheur ». Cela me fait penser au premier livre lu de Marguerite Duras : détruire dit-elle.


Nous sommes très présents quand nous prions. Nous sommes très attentifs dans ce que l’on confie à Allah,dans ce que nous lui demandons.


Les jeunes français d’origine arabe ont inventé, dans la musique, le son sec de la batterie, la batterie sèche. C’est vraiment particulier et très beau. Et le chant des Français, plus âgés, d’origine maghrébine est si sensuel, si viril, avec des arrondis dans la mélodie pour les Tunisiens.


Je suis une partie du réel.

C’est l’amour qui est sacré.


–--------------------------------


Le temps est plus long et plus vif depuis que je suis à la retraite.


(Cinq ans, c’est le temps que je me donne pour avancer sur ma phobie). C’est le temps que je me serais donné pour me monter en ménage.


J’ai un regard fulgurant.


Parfois je dépose mon fardeau malgré le vacarme. Je peux saisir un semblant de silence. Quand tout s’arrêtera du tumulte incessant, alors je serai peut-être assez seule. Plus jamais je ne connaîtrais de si profondes cruautés, qui laisseront la place au froid. Je me voyais plus âgée écrire un long texte de morale. Peut-être. Je sais déjà que l’écriture m’apportera, tout le long, de la sérénité. La marche épuisera ma nervosité. Et les autres ? Et bien pour le moment rien de nouveau.


Le train s’est arrêté là. Définitivement là. Je n’ai rien à dire. Avant l’arrêt, je gambergeais encore, des projets plein la tête. Puis plus rien, j’ai oublié. Des cris d’enfants comme des alarmes, les mauvaises odeurs d’égout et de cuisine. Rien n’apparaissait sur les visages, à part le mien qui laissait couler mes pleurs. Nous étions foutus.


Photos en noir et blanc. L’homme, casquette sur la tête, de dos, contemplatif, regarde l’étang de Berre. Silence. mais peut-être l’homme retient l’eau du lac ? Une femme ressentirait un malaise, car c’est comme si l’homme tenait le silence.

« Le photographe avait choisit un Turc. Pour faire un mot d’esprit Marseillais : « les Turc portent la casquette pour ne pas prier. »

J’aimerais aller à ce lac, guetter le lac ; mais étant une femme je n’aimerais pas être seule. Alors adieu le silence. J’aimerais tant bavarder. De tout et de rien.


Hier soir, j’ai vu le jour ; moment d'intense éveil. La Parisienne était sur le banc-public à prendre le frais. En vitrine du magasin j’ai vu de belles gouaches colorées : froideur de la structure du dessin, chaleur des couleurs.

Tout était déjà brisé, mais je voyais la beauté ailleurs. Ce matin j’ai si mal, ne sachant ce qui m’attend j’en oublie mon âge.


Ça aime la rondeur les vallons. L’automne de tout, la fraîcheur, la gaîté avec l’hiver. Cela on le joue en musique, avec les aigus des chants d’oiseaux. C’est divin.


Les arbres dénudés. Sur les épines, presque rousses, du soleil. Je n’attends rien, où tout simplement vivre ma vie. Ce qu’apporte le jour me touche au cœur, comme le jour même naissant, la rue ou passent des passants, de ma fenêtre le bout de ciel bleu. Le calme en moi revient. Je ne sais si je quitterais cette maison, mais croyez bien cela sera une véritable mort. Aussi jamais on ne la quittera mon compagnon et moi, car dans cette maison j’y ai vécu toutes les saisons, tous les instants aussi.


Longue attente, la souplesse attendue. Ailleurs ? Plus tard, elle va venir et je m’endormirai. Demain peut-être faire un grand détour en promenade, si je peux car le courage me quitte. Mon esprit comme un arc bandé, flèche pour mon amour. Autrefois j’allais, front levé, j’allais droite. Aujourd’hui la mort devant, toujours la mort. Ce n’est pas elle la plus insupportable, mais la douleur immense, de la cassure propre, je veux dire nette, de l’avant et de l’après.


Après tant d’abandon, quelle peine de le perdre. Pourtant quelle terreur. Quelle joie, quelle terreur... Quelle perte !

Si ce n’était le confinement la vie reprend. Je me sens lointaine. Prendre place quand même parmi les autres. Sans oublier qu’ « à plus de quatre on est une bande de cons ».

Ce n’est plus la passion, mais bien plutôt une vie rude, parsemée d’étincelles d’enthousiasme. Une vie. Avec le fantasque que je garde dans mon fort-intérieur.


L’harmonie de la terre est vaste. Parfois elle fait peur par l'intrication des milliers de vies en jeux.

Une porte s’ouvre sur l’aurore, des gouttelettes d’embrun lissent la peau, revigorent. Douces saccades de clarté, les minutes où l’atmosphère fait jour, avant que le soleil ne se lève à l’Est.

Mais après, errer comme on erre dans un espace presque clos, pour seule attention, qui ne brise pas, les mouettes dont je perçois parfaitement le tapage de leurs cris, avec celui du vent qui frappe à ma porte, comme main qui tape et demande qui je suis.

Toujours dans ma prière je remercie la terre de m’accueillir en son sein.


Quand les cloches de l’église sonnent, n’allant pas au bout de leurs phrases. Les cloches : « dormez, dormez, braves gens ». Moi : « luttez, vivez, gens honnêtes ».

Quand l’eau s’écoule et dit les rêves des humains. Et le caprice de l’enfant, si têtu dans son blouson d’automne.

Quand les trains de la gare St Charles se font entendre au loin, que le va-et-vient incessant des voyageurs m’alarme, tant de bateaux déjà dérivent. Réfugiés de tout pays, êtes-vous de mèche ?

Quand une dispute de couple éclate, et nous, n’ayant plus la force de casser la vaisselle comme autrefois.

Ma boîte aux lettres vide. Quand va et ne revient plus l’aiguille du réveil.

Des jeunes ombragés, au contraire des filles coulantes.

Quand le soleil tape, vif, des jeunes, nègres, arabes, chinetoques, saumon clair ou foncé, le regard ténébreux, noir, ardent, passent quartier par quartier, sur leur cyclomoteur vrombissant.

Les mains frissonnantes, tremblantes même, sous le poids d’armes absentes.

Dans un silence pesant, une femme pleure la mort de son fils dans la bataille.



Francine Laugier.

Marseille, 2020




© Francine Laugier, 2020-Mars 2021.
Licence Creative Commons
« Correspondance » de Francine Laugier http://francinelaugier.free.fr/feuillets_épars/feuillets_epars.html est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transposé.
Basé(e) sur une œuvre à francinelaugier.free.fr.
Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues à http://francinelaugier.free.fr/.