Francine Laugier - Terre, terre


La Truite

La nature est calme. Est-ce qu’elle se repose des bourrasques ? Ou bien dort-t-elle le jour comme moi ? Même les oiseaux se taisent, ainsi que les chats, pourtant il est onze heures et demie, l’heure où les chatons vont trouver leur pitance, l’heure où les bergers comptent leurs moutons, les loups se sont reproduits depuis l’année dernière !

La ville dort debout, comme on pourrait le dire d’un humain ; tellement vidée de ses habitants.

Qui joue sur mes cordes raides ? Je préfère tant le murmure plus doux de ma voix. Celui à qui je confie mes peines et mes joies, celui qui me fait nommer « je t’aime vie ».


Le regard du jour file derrière les carreaux. Convalescente, me manque la saveur de l’air frais de l’hiver.

Malheur au malheur, ou si l’on préfère malheur au mal. Quand le vent circule en sens interdit, et que le marin tient bon la barre, quand le panier se remplit de crabes, que la paye n’est pas loin, alors oui le moral est au beau fixe.

Tu vois, « la Truite », il y a aussi des vagues profondes où l’homme fait corps avec les éléments, comme le berger qui rentre avec l’orage.


Je savais que j’allais à ma perte. Je le sus quelques années avant. Mais c’est si long un an quand on est jeune. J’arrive enfin aujourd’hui à ce que je voulais dans la vie. La beauté m’apparaît enfin dans toute l’harmonie humaine. J’ai fait passer le pardon sur les années écoulées. J’entends maintenant le respect, la camaraderie, l’amitié. De l’amour j’en suis sûre. Me frôle la beauté de la terre et de ce qui lui appartient. D’autres voyageurs, peut-être venus d’ailleurs, arpentent nos rues et nos désirs les plus fous : d’amour et de combat pour le bien.


Petits chatons qui descendaient les escaliers avec tant de grâce, vous emplissiez ces instants de détente, de paix ; mon âme était alors si tumultueuse. Nous étions dans le même espace-temps, et cela reposa mon esprit un moment.

Toi l’artiste-peintre, qui te souviens de moi, qui sût écouter ma plainte, maintenant que je suis libre tu peux reposer ton fardeau sur moi, comme tu as pris le mien, quand ma vie tremblait.


La maison détériorée, plus entretenue ces cinq dernières années, nous sommes si las de réparer les erreurs du passé. Nous allons au plus pressé, jetés dans l’instant, entre les pins et les voitures. Le mur du jardin n’a pas été remonté, c’est là que j’ai rencontré les deux dames au regard si perçant de curiosité. La ville se réveille peu à peu, pleine de nébulosité. Après le café fort, nous devons bien nous y mettre à œuvrer, encore un peu endormi par la nuit, si longue en cette saison, qui ne voulait pourtant pas finir. Le jour est là qui attend l’effervescence de la vie.


La bière aujourd’hui à un goût d’écume de mer et d’algues vertes. Se détendre pour sortir, pour affronter le regard du froid. Cette année j’ai vraiment vu les arbres se défeuiller ; ma fenêtre s’habille d’hiver. Me voici avancée dans le millénaire, avec mon robot qu’est l’ordinateur, je suis heureuse. Au Roucas-blanc, un homme joyeux passe, avec du matériel de bricolage.


La nuit est avancée, elle surprend toujours par ses sauts, mais toujours à pas feutrés. J’aime écrire dans ces moments là, même si comme un funambule j’ai peur de tomber du côté du sommeil. Je songe au temps, ses nœuds me restent imprécis, comme ceux de la matière. Le galet sur le livre d’anglais, je songe au temps qu’il me reste pour apprendre. Si lent est l’ouvrage, comme la lente couleur opaline de la lune. Je rêve éveillée aux nuits noires sans sa lumière, comme seraient serrés les arbres en été comme en hiver.


Pauvre humanité ! Pauvre race ! Bien sûr il y a la bravoure et les braves. Le combat épineux. De la folie à la vie, il y a eut un chemin. Il y a la vie. Guidée par le dessein de ce qui arrive à maturité, la panique s’est enfuie, pourchassée par la force.

La mouette bat des ailes, elle s’amuse à prendre l’air. Elle aussi a la force, la grâce et la légèreté. Elle aime ses petits qui s’envolent, en suivant l’exemple de leurs parents.


La bonté des autres sert au sage à devenir poli.


Les soucis rongent l’esprit, et font oublier la marmite sur le feu. Mes réflexions partent de toute part. Je ne cherche pas à comprendre. Un semblant « de réalité » refait surface. Maux de tête, manque de sommeil, froid... Et nos morts nous manquent. Tant fauchés avant l’heure ! Tant de peurs gratuites et de tortures. Dans chaque région de la terre des humains luttent, les bras ou le poing levés vers le ciel. Qu’attendons-nous sur terre, camarades ? « Je ne suis pas sur terre pour tuer des pauvres gens » chantait Boris Vian.


Comme des fous qui n’entendraient pas ce qu’on leur dit, ils avancent, obscurcis par la propagande. Ils n’avaient qu’à tirer le fil de leur vie, mais ils préfèrent comme les moutons, suivre le troupeau surveillé par des chiens sans scrupule.

Il suffisait de faire un pas de côté pour que se crée un lien solide et solidaire. L’heure n’est plus au pardon mais à la compréhension. Pourquoi ont-ils tant perdu de temps et d’énergie ?


Jusqu’à aujourd’hui mon magister a été mon compagnon. Il le reste encore un peu, jusqu’à tire d’aile. Dans le Tchan, le maître tire des coups de bâton à ses disciples pour qu’ils restent en éveil. Mon compagnon, comme coups de bâton, m’a laissé libre. Cela tenait à nos deux caractères. Et « la réalité » me frappa plusieurs fois durement. Je ne sais pas encore l’embrasser ni la voir sans trembler, mais déjà elle me fait redresser la tête.

Corps, esprit, âme, luttent ensemble pour ma survie ; pour atteindre la vie. Avant tout soigner le corps quand il est fatigué, puis penser à l’esprit, l’intelligence, enfin mon âme, ma petite flamme intérieure guidée par la sagesse.

L’éveil travaille en moi comme la profondeur de la mer sous ma brasse. Avec confiance j’avance, faisant corps avec l’eau, mon compagnon nageant à mes côtés. Je hume l’air pur et je regarde sous moi sans peur.


Ô lune, sous tes rayons j’écris, d’expériences en expériences se poursuit « mon être » dans le monde. La pomme m’appelle à la croquer, mon regard à voir la couleur bleutée sur le verre propre, et je m’amuse à me perdre dans les ombres que font les objets.

Ô bonté du monde, ne cesse pas de te refléter en moi.





Francine Laugier, janvier 2015.




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© Francine Laugier, le 17 janvier 2015.
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