Francine Laugier - Terre, terre


Sa franchise, ses yeux, mon regard

J’ai vécu des choses très dures, mais j’ai entrevues des choses formidables. Je n’ai pas envie de trahir cette dernière sagesse pour des bruits de bottes, qui courbent l’échine des hommes, jonchent de bêtes mortes le sol.

J’ai entendu la musique de la terre où les sages, quand ils chantaient « vie, vie », donnaient à manger aux oiseaux. J’ai entendu leurs cris, je frissonnais dans le vent qui m’emportait, j’admirais les dômes, et l’espace-temps s’ouvrait.


La cloche sonne, elle n’a plus d’heure. Les jours sont difficiles, même le temps est chamboulé, qui est court ou s’allonge, jusqu’aux mois que l’on n’arrive plus à compter. Ça et là, les soldats se préparent, haineux comme l’orage. Le tonnerre s’approche et déjà des éclairs de fusées dans le ciel. Ces enfants qui terrifient ne sont pas les seuls en cause, combien sont ceux qui par derrière les ont poussés à tant de barbarie. Les nerfs claquent à ceux du front ; à ceux de l’arrière. Je prie la grâce de tomber sur les braves, moi athée j’ai toujours prié pour la paix.


D’abord il y a eu la dualité. Puis par des poèmes nous nous parlâmes comme deux Dames, qui partageaient les bonnes manières avec leur troubadour. Nous apprenions à vivre en pleine guerre mondiale, comme deux mouettes plongeant entre deux tirs, nos plumes lisses faisant rebond.

Elles sont loin les guerres napoléoniennes, où femmes et enfants suivaient les armées. Mais toujours, l’arrière doit subvenir aux besoins des troupes : angoisse, sommeil, froid... Penser aux autres peut-être un fardeau.

Nous, qui n’aimons pas la peur avons été terrorisés, seuls avec nos entrailles. L’autre peut être une aide, comme un poison qui coule lentement dans les veines. Alors le nid d’amour devient une cage.


De ma mère je tiens le goût de la franchise.

Ces derniers temps la maison sert à travailler, à faire la cuisine, à dormir, d’où un certain désordre.

De mon père je tiens le goût du tabac fort, et d’un certain dédain pour l’argent. De ma mère une fierté de classe, de mon père un combat. Des deux un altruisme profond et une peur de faire du mal.

En vieillissant je ressemble de plus en plus à ma mère, mais je garde les yeux de mon père. Mon regard est mien.


Nous n’en viendrons jamais à bout, du mal comme du bien. C’est tendre vers l’un ou l’autre qui juge l’humain. Certaines personnes sont tellement perverses qu’elles nous donnent l’impression d’être le diable en personne. Ne nous y trompons pas, même si notre jugement doit être très sévère.


Un voile d’obscurité sur les sens, entre deux eaux, endormie et énervée, voilà Madame la folie. Elle se montre dans le moindre repli, elle qui n’a rien à cacher, comme dans la malveillance, elle coule des insomnies et frisonne le jour. Elle a peur de tout, des souffrances et des illusions mal comprises. Unique, sans regard, comme « une poupée dont les yeux sont tombés en dedans ». Quand vient le sursaut de sa mort, s’émerveillent les journées.


Je ne pense plus à la guerre, mais à l’odeur de la terre qui remonte des jardins. Je pense aux rires d’enfants à la sortie de l’école, au soleil frôlant le visage comme une douce caresse d’automne. Dans la colline, les feuilles humides ont recouvert la chatte morte. Belle fin d’automne que le soleil sur les branches dénudées. Sur les fils électriques les moineaux jacassent et nous font oublier leurs ancêtres si gros, ces dinosaures remis au goût du jour.


Comme un cri, occuper l’espace. Cri ailé, déployé, qui garde sa verve ameutante. Cri performant. Zeus, oui Zeus lui-même, entend bouger la terre. Nous voici en hiver, où la blancheur de la lune éclaire encore plus les recoins des loups. La prestance de Séléné parcourt en un tour ce qui croyait être noir comme la nuit. Certains enfants ont les yeux émerveillés, comme de vieux sages édentés. Faire vivre, protéger, inculquer le bien-être, tels des passeurs qui œuvrent pour la postérité.


Le vide intérieur aspire, comme s’il avait la place de contenir tous les pleurs, depuis mon enfance. Il me projette parmi les gémissements d’aujourd’hui. D’abord se tenir en vie, je dis cela quand le sommeil me tenaille. L’humanité est une et indivisible. Je n’ai pris que ce que le hasard objectif me donnait, je n’ai jamais cherché plus loin. « Seul le plaisir paye », et j’ai plaisir aux mots. Bien sûr, le hasard, le seul hasard m’a ballotté, mais jamais je n’ai trahi mon essentielle intégrité.


Surréalisme, langue française, se mélangent. Il y eut une école littéraire, qui fût le nouveau roman, jusqu’à ce qu’il se close avec le fabuleux écrivain Claude Simon.

Si le surréalisme à beaucoup apporté à la peinture, c’est au cinéma que le nouveau roman s’est étendu.

Le Français survivra comme langue d’intellectuels, grâce à ces deux mouvements. « L’idiot ne sait pas s’émerveiller de la vie », écrivait, entre-autre, Jean-Pierre.





Décembre 2014, Francine Laugier




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© Francine Laugier, décembre 2014.
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