Francine Laugier - Terre, terre


J’avais tant à perdre

Le premier cri des mouettes, vent de mer certainement. Je ne sais plus le jour, ma nuit, la musique, le bruit. Je sais le chaud, le froid et la sueur qui colle. Encore une journée de foutue où en ébullition mon corps s’échinera, la tête, pleine de sombre, fera trembler mes lèvres.


J’ai vu passer la mort, elle semblait forte d’enseignements sur la vie. Elle me dit combien lui était chère la couleur de la terre, ce que je crois d’ailleurs. Tout en vapant je songeais à ce que pourrait bien encore m’offrir la terre. Je savourais à l’avance le partage des richesses, que je pourrai avec d’autres, encore lui prendre. Les savoureux dialogues avec mon compagnon, le verre de vin italien, la prose à écrire, ce qui fait qu’une vie vole de ses propres ailes. À partir de là je servis mes petits plats dans les grands. Si toute vie est un drame, qu’au moins la chaîne fraternelle tienne ferme.


Les sanglots longs des violons de l’histoire, dans le jardin d’hiver, me reviennent ces mots barrés sur mon cahier. Que les miens comprennent ma révolte : le blasphème de ma naissance était ma nationalité. Père, mère, vous fûtes de bons parents.


Femme ivre, ivre de mots, mais si seule. Homme ivre, ivre de mots, mais si seul. Toi qui n’a jamais été dans le monde, que regrettes-tu ? Deux où trois bons films, quelques livres lus, un fantasme d’amitié ? D’avoir raté, presque toujours raté les autres dans si peu de rencontres ? Est-ce pour cela que la vie est cruelle ? Non ! C’est l’éveil si tardif, c’est l’amour que l’on porte enfin quand la jeunesse n’est plus. Alors tout étonné on n’espère plus la vitesse, on avance sur la voie à pas feutrés.


Hisser la corde, grimper nœud à nœuds, jusqu’à ce que je ramène le temps dans sa course. Ce matin, quand j’ouvre les volets, il pleuviote. J’aimerais l’image du tonnerre, l’éclair. Temps maussade donc, sans vent. Comme je n’arrive pas à m’occuper à quoi que ce soit, le temps m’apparaît long. Si au moins je pouvais faire le tour du pâté de maisons !


Le poème ne sera jamais clos. Avec lui j’ai traversé la mort, je m’y suis sacrifiée, j’ai dit bonjour à l’ivresse, et ma tendre sagesse toujours l’emporta. Avant lui, mes oracles je les faisais dans la grotte du gouffre. Me voici sur les cimes. L’air y est plus pur, là où le mistral balaie les mirages. J’ai enfin le la, non jamais mon poème ne sera clos. C’est mon égal, mon vouvoiement à la vie. Mes écrits restent dans ma voix, ils tiennent en respect mes ennemis. Ils vivent, comme des enfants sauvages détiennent la carte au trésor, celle qui mène aux jours libérateurs.


Souvent je n’ai pas été à la hauteur ; je volais bas dans mon futur. J’ai si souvent trébuché. Mais devant s’ouvre « un jardin, parmi les jardins du Paradis ».

La conquête du « moi » qui devient « je » ; la conquête de la passivité vers l’action ; la conquête du crépuscule à l’aurore.

Ces fins d’après-midi où le soleil laisse une traîne légère, mes marches dans Marseille en sa tendre compagnie : mon corps gardera toujours les marques de ces promenades.

Mon chant comme ce poème décousu, tenace comme ma colonne vertébrale tient mon dos droit, mon chant hante ma maison d’airs populaires.

« Mais ne nous soumet pas à la tentation » comme parle la prière à mon oreille.

Tu dis que l’eau fraîche dans mon verre a du goût. L’eau de mer a nettoyé mes narines, et je hume le vin rosé, à chaque fois, avant de le porter à mes lèvres.

Ma maison est bien cachée dans le creux de la ville. Moi je ne me cache pas. J’y fête mes anniversaires et le printemps.



Mes rêveries se taisent. Reste le parfum des lauriers enivrant et doux. La mort aussi s’est tue. J’attends le matin, sans impatience j’essaie de l’attendre. Quitter le rêve, changer de rêve plutôt. À quoi ressemblera la tiédeur alors ? À d’aussi longues nuits à écrire et se lire, avec des matins blêmes, quand le corps frissonne et que le sommeil brutalement nous prends. Ce temps qui se vit pleinement, accélère sa course, comme l’on tombe visage à terre.


Mon singulier à moi, audacieux, amoureux, avec ta puissance intellectuelle tu m’as séduite.

J’ai toujours aimé chez toi, cette façon dont tu assumes ton être, dont le jugement de l’autre tu le forces à te voir tel que tu es.

Je t’ai respecté en tant que mon homme, je te respecte en tant qu’homme.

Mon amour, tant de luttes à mener encore !





Francine Laugier, mars 2015.




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© Francine Laugier, mars 2015.
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