Francine Laugier - Cette hiérarchie personnelle

Cette hiérarchie personnelle

Je ne sais à quoi je pensais, je ne sais de quoi je me mêlais, mais je jette le tablier. Seul le destin le savait. Les drapeaux de Notre Dame de la Garde claquent au vent, ils font du bruit comme un enfant qui s’amuserait avec le mobilier urbain. Je remercie le ciel de ne pas m’avoir fait compter les jours, de ne plus jouer à l’ange, et d’offrir ce qu’il a de meilleur aux bienheureux. Pour fêter cela, je vais planter dans une assiette à dessert, sur du coton, les graines de blé qu’ils me restaient des fêtes de fin d’année.

L’agacement me quitte, laisse place aux petits maux du corps, fragilité dans la durée de mon espoir. Futur te voici donc là, pareil ou différent, je t’aime même si tu m’as demandé beaucoup de patiente.


Quand les oiseaux s’endorment les chanteuses populaires égayent ma vie. Fraîcheur de l’américaine, citadines anglaises, sombre London Grammar. J’en ai oublié ma langue. Lou-noir pour les yeux, guitare sèche, pieds, nus. Cigarette, rocailles enfantines, bohème. Mode de jeunes boutiques, ensemble orchestré, lèvres nues.

Concerts de printemps, loin des arbres, Paris, Londres, Amérique du Sud, jamais seul l’on chante. Jeunesse qui voyage, jeunesse qui use ses souliers, jeunesse sans classe. « La mouette » n’est pas venue de si loin avec le fuselage de son « madame Francine ».


D’amie en amie les visages se tournent ou se détournent. De mon côté, toujours je laisse une traîne de rosée. L’émulation qui se glisse dans la confidentielle boîte à messages. Les balades en voiture : la forêt de la Sainte-Baume, et les fleurs déposées sur la tombe des parents.

« La mouette », les silences dans ton écriture sont l’espace. Pas celui de la feuille blanche. Le silence qui avance, puis qui souffle les mots. Duras c’était des silences entrecoupés de mots, toi ce sont des mots entrecoupés de silences. Inclassable « mouette », dans la communauté des écrivains.


J’aime laisser faire ce que je rencontre, avec moi c’est le règne du hasard. Même une vie pauvre en tout est immensément riche. Il suffit de faire feu de tout bois. Mais pour cela il faut une certaine honnêteté, une candeur, une bonté dans ce que l’on prend et ce que l’on donne. La beauté est là, qui se laisse cueillir comme une fleur, dans l’éclat d’une perle, le juron qui tombe à l’eau, les rêves qui construisent. Jamais on ne repasse par le même chemin, chaque pas est une traversée, chaque port un amour, dans chaque faute nous trouvons la force et l’attrait de réparer. Nulle hiérarchie ne peut abolir cette hiérarchie personnelle. La sensibilité, l’émotion, nous aident à aller de l’avant. Parcourant notre vie avec courage, lucidité, avec bonheur.


J’attrape au vol, puis le bien me laisse trop seule, le sel de mes larmes ne se retrouve plus que dans ma bouche. Est-on obligé de cacher ses cartes ? Trop étalées elles peuvent aveugler l’arrivant. Comme « une bleue » au collège, je reprends mon tablier, comme elle je dessine la carte aux trésors du journal intime.

« La tête de cette épingle que chacun voudrait tirer du jeu, il me plaît de la chercher dans les étoiles », écrivait André Breton.


Une énorme distance s’est scindée, une ultime course contre la montre. Quelquefois je me souviendrai, je me remémorerai. Mère je te remercie pour toute ton attention. Tu fus l’une de mes dernières amies. Ma petite âme amie, nos murmures incessants tamisent mon humeur. Je jette mes phrases, comme d’autres du pain aux oiseaux. La loi des hommes, leurs lois, tout cela je le leur laisse. Je suis l’élue de ma guérison, je vaincrai.





Francine Laugier, août 2015.



© Francine Laugier, août 2015.
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