Francine Laugier - Devant ma glace

Devant ma glace

Flottement, comme un bonjour lancé de la lune, ou sur la pointe des pieds faire signe. Quand les tiroirs de ma mémoire vont s’ouvrir alors, mes privations seront finies. Je n’ai plus qu’à attendre. Finis ma sueur, mes tremblements, mon effroi, mes courtes promenades. Quand j’ouvrirai les tiroirs de ma mémoire, je boirai le lait de mes sept ans, j’aurai pour amie une âme ferme et consolatrice, j’écrirai un roman qui se passe sur la lune amie des monologues, des longs silences. J’ouvre le tiroir de ma mémoire, et j’y rencontre des vivants et des morts, je vois pousser des arbres, je ris de savoir que j’ai attendu jusque-là que quelque chose se passe.


Les chiens dans la ville sont lâchés. Je ne peux que leur dire « enlevez-vous de mon rayon de lune ». Je n’ai pas peur, la chasse aux loups a été ouverte. Il ne fait pas bon traîner et détruire.

Et vous, vous jugiez il n’y a pas si longtemps, mais de quoi êtes-vous capable pour la rebelle liberté ? « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »


L’affolement dans les poulaillers, les coqs ont pris un coup dans l’aile. Maintenant les poules jacassent. Aussi le coq a perdu l’habitude de lancer son « cocorico » à l’heure du lever du soleil. Les prêtres aussi oublient de sonner les cloches pour les matines. Plus rien ne rythme le temps. Le jour n’est plus fêté, et dans les villes les noctambules s’encanaillent, boivent du mauvais vin, l’estomac aigri.


« Avoir la grâce ou pas », disait Calvin. C’était certainement une parole d’amour. Après tant d’années, si longtemps à saisir les mains du passeur, je me retrouve avec mon honneur. J’ai peu de racines mais je ne suis pas déracinée. Je fais partie de ceux qui se sentent liés à la vie. Je comprends le sacrifice d’Abraham, et je mange des animaux, voici où se pose ma conscience. La sagesse est un combat de tous les jours, je le mène avec espoir et bonheur.


L’image était d’une statue dans le centre d’une place publique, qui donnait l’impression d’être prête à marcher. Du moins c’est cela que je ressentis en regardant ce dessin. « J’aurais préféré des mots » lui dis-je, en tournant mon regard vers lui. C’est un peu après, après quelques autres rencontres, que je me sentis plus vivante, c’est-à-dire mortelle. L’inconscient est structuré comme un rêve.


La tempérance dans les relations est bonne conseillère, elle me guide dans ce tumulte qu’est l’organisation humaine. L’affolement dont est prise cette organisation humaine veut faire douter de l’amour, de l’amitié, de la camaraderie, de l’entraide. Mais l’amour est loi de la nature, il fait plus jour quand nous le savons, car l’amour est le vrai guide de la vie.


Il commence à se faire tard, je grignote les reste du repas. Cheminer dans la nuit avec, pour tout repère, le froid du petit matin. Ni désiré, ni rejeté, l’oubli est là, qui guette comment s’organise le futur. Lui n’oubliera pas, je ne veux me souvenir que du chant harmonieux. Le reste sera pour nous un trou noir de bruit. Une chance s’offre à moi, loin de l’excès ou de la retenue, là où palpite mon cœur.


Parfois quand je me regarde dans une glace, je me sens laide : cheveux secs, rides. Jamais je ne me rejette. C’est bien mon âme qui habite ce corps. Je préfère de beaucoup me voir dans le reflet des glaces de magasins en marchant, car j’aime le mouvement de ma silhouette, même si mon regard se pose d’abord sur mon visage. Mon compagnon, qui m’aime, sait bien me prendre en photo. Sous son regard je ne suis jamais défaite.


Comment percer le silence ? Que contient-il ? Qu’est-il capable de faire ? Seule. Mes lèvres tremblent. Je suis prête à lui arracher le calme qu’il me faut pour lui adresser mes mots ; eux seuls savent de quel bois je me chauffe. Derrière, le sommeil. Le cauchemar qui surgissait des rêves des hommes. Seule, enfin seule. La chaleur aimable de mon compagnon, chatoyante et sincère. Vers quel but nous penchons-nous ? Minuit sonne dans mes pensées mauves qui se faufilent à pas furtifs.





Francine Laugier, mai 2015.



© Francine Laugier, mai 2015.
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