Francine Laugier - LE GROUILLEMENT DES HUMAINS

LE GROUILLEMENT DES HUMAINS

Ne sachant ce qu’il advient je vis au jour le jour. Des livres qui ne sont plus, que j’aurais bien relu. Le cœur qui se met en marche et me laisse pantoise. Lambeaux de souvenirs, merde ! C’est le présent qui compte, au jour le jour. C’est un nouveau vide aussi, vidée de ce qui fait une culture, une civilisation. Tenir ce qu’il y a de plus individuel dans sa fonction, contre vents et marées, terre et cosmos liés. Le ciel se vide de ses oiseaux, comme si lui aussi tremblait. Toutes mes larmes se sont vidés par le nez.


Désespérée ou combative, j’en suis là. Là ? Là ! Ne se joue plus que la torture de l’épuisement, de l’énervement, je reste au lit ou assise dans la cuisine. Les mots à la radio, scandés, plus aucune attention. Esprit traqué, le sommeil tarde, tarde à venir, et je me sens toute petite parmi le grouillement des humains. La trace des ans déjà n’a plus sens. Où en étais-je déjà ? Déjà perdu tant de temps.


L’histoire est-elle en ellipse ou circulaire ? Tourne-t-on en rond depuis le début de l’humanité, ou avance-t-on ? A-t-elle une issue, autre que cela ? Ou la roue tourne-t-elle perpétuellement comme une noria ? Chacun son tour, chacun sa gloire ? Mais l’humanité, où va-elle ? Aura-telle une fin ? Osera-t-on muter ? Comme si je me heurtais à un mur.


J’ai mangé sa haine. Plus loin, à la plage, elle m’a écrit « le désespoir ne sert à rien ». Puis j’ai été si petite avec elle. Une amie que j’ai laissée filer, et qui a filé si vite à la mort. Pourtant j’avais mangé ta haine, et les mots que tu m’avais écrits à la plage m’ont aidée à tenir sur le moment. Je n’ai su que t’aider à tenir un moment.


Plus éveillée, m’offrir un futur où repose, sur le bois travaillé, l’alliance d’or et d’argent. Le rouge-brun de l’action perle mon corps, comme les draps que les Libanaises parfument de rose. Comprendre ce qui prolonge les mains, comme prolonge ou entoure le halo de lune, pour poursuivre et attraper son but. Cette nuit, dans le ciel, je n’ai vu briller que l’étoile du Nord, j’ai frissonné de sa solitude.


Grogne encore le vent. C’est déjà l’aube, et j’entends les pas vifs de ma voisine. Dans la ville, parmi les bateaux, pense-t-elle aux nombreux trains qui sillonnent la campagne ? Éreintée par le manque de sommeil, je bois mes cafés. Encore un jour où l’étoffe de mon écrit me demande courage ; en ayant si peu d’or, j’ai compris l’or ! Audacieuse vie des vivants, combien est chère la vie. Je n’écoute toujours pas le bruit sourd du vent. Pour moi il n’est plus qu’une colère.


Toi qui partages mes jours, je t’appelle. Tu apparais à nouveau dans le silence où, livrée à moi-même, je tente une sortie dans le voyage de la nuit. Tenir promesse à mes promesses, comme l’on mène bataille aux chimères. Tout n’est pas encore dit, devant je vais. L’histoire ne m’empêchera pas de me détendre, de dormir ! Il n’est ni tard, ni tôt, pour parfaire ma robuste marche. Si peu d’hésitation pour soulever la pierre de ce qui fût jadis mon tombeau.





Francine Laugier, octobre 2015.



© Francine Laugier, octobre 2015.
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