Francine Laugier - Des jours absents

Des jours absents

Je marquerai un chiffre sur le gâteau, l’anniversaire et le mariage conjugués, avec des points de suspensions. Pour qu’à partir de ce jour-là le temps s’allonge pour nous deux. Les deux attentions tournées vers moi : celle qui fait que j’ai une intellectualité, et celle qui prend soin de l’autre.


La guerre étouffe et pourtant elle libère en moi l’énergie générique de l’amour. Que n’est ma joie de pardonner, de comprendre l’extranéité, d’être parmi les autres dans une cigarette fumée, un bout de fromage avalé, des chaussures abîmées... Que ne naître, comme le chinois Lao-tseu, qu’à soixante ans, me fera naître encore loin de ma naïveté. Pardonne « amour » ma lenteur, regardez, donc passer les nuages, les merveilleux nuages. Le cri de l’enfant mélangé au cri des mouettes, puis le cri de l’enfant qui dit « c’est nous les anges ». Taisez-vous donc cloches, sonnez plutôt les matines. Et le fou qui tient le monde, n’est-ce donc pas déjà assez de tenir, seulement tenir.


Ciel nuageux, c’est la terre qui boit son eau. Quand l’homme pleura je lui dis de ne pas se faire du souci, que j’avais bon espoir. Il n’avait rien d’un enfant, ni d’un vieillard. Pas de haine mon homme, nous ne sommes pas des bêtes. Un jour de mariage, je parle de la loi des hommes, de la virilité intellectuelle et manuelle. Je parle aussi des filles qui comprennent leur mère, même si le voile de la mariée garde les traces de l’aînée. Par bonheur, par respect des vivants et des morts, que c’est beau la vie.


Le ciel couleur de mer. Toujours ce rose dans le ciel marseillais, en France, couleur de petites filles, et les garçons en bleu. Toujours ce flot de mer dans le ciel. Qu’est-ce qui fraye le chemin ? La terre, l’humain plutôt, est jeune dans l’horloge de l’évolution. N’ayez crainte, ils craindront. J’aimerais être cette femme aimable, aimante. Sublimer, mais enfant, je craignais les chatouilles, même si je riais aux éclats. Je suis solidaire de la terre.


Je suis athée, ce sont des choses que nous savons bien assez tôt. Tout cela est comme les multiples langues de la terre. Ce qui est évident, c’est que nous pouvons en comprendre plusieurs. Moi qui aujourd’hui ne connais que ma langue française, je sais combien j’y tiens. Ce que je peux affirmer, c’est que des sages ils y en a de partout ; dans tous pays, dans tous métiers, dans toutes maladies. J’ai si peur de mourir avant de connaître une vie de femme fidèle et honnête. J’ai si peur de mourir avant de connaître la félicité. J’ai si peur de mourir avant de faire ce que j’ai à faire. J’ai tellement été aidée.

C’est si facile d’écrire. C’est le corps vieillissant qui fait mal. J’ai des rhumatismes comme ma mère, et je sais maintenant ce qu’est souffrir dans sa chair. Quand la douleur finit, elle recommence dans une autre partie du corps. Ce n’est que pour cela que nous regrettons la jeunesse, car elle attaque tout frontalement, avec courage.


Il y en a des jours absents dans ma semaine ! Absents de sortie aussi. Punie comme au collège, mais il était alors agréable de rester avec ma meilleure amie. Bien sûr il y a ce que nous appelons, nous autres, « des amandines » ; c’est comme une parole amie, c’est comme une caresse, c’est comme une sucrerie. Pour moi aujourd’hui c’est vaper du tabac brun, et c’est surtout boire du frais vin rosé. Mais toujours j’essaie de rester sur ma soif. Un jour où je me plaignais, alors que tout allait mieux, ma sœur Marguerite m’a dit « toute vie est un drame ». Nous écrivons tous le livre de la souffrance, maintenant j’en suis sûre. Et je me souviens de ses paroles. Qu’elles aident ceux qui ont mal. Oui, nous écrivons tous le livre de la souffrance.


L’écrivain Colette disait « je veux témoigner mais je ne fais que ma caricature ». Eh bien moi je dis « je témoigne ». Elle sur son amour de sa mère et des animaux, moi de notre mal à faire le bien. Le livre de Colette « La naissance du jour », était apprécié par le mouvement de libération des femmes. Moi j’écris des livres très différents. Mais j’aimerais bien que la jeune-femme, qu’on appelait « la mouette », m’appelle un jour : Madame Francine. Après tout je suis la vieille-jeune, tant de temps à devenir femme, et si triste l’appartement sans berceau ! Comme Colette j’ai eu deux maris, l’un avec qui je vis encore de tendres jours. Aussi dans le vide, je dis merci au bonheur d’aimer.





Francine Laugier, le 7 août 2015.



© Francine Laugier, le 7 août 2015.
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