Francine Laugier - Est-ce une ronde ?

Est-ce une ronde ?

Nous fûmes vagabonds, vagabondages dans le temps. Cruelle vérité toujours pas comprise. Ils mentent à ma face, ils osent dire « nous n’y sommes pour rien ». Nul repos, je savais bien pourtant ce qu’il me fallait. Candeur dans ma jeunesse, mémoire de ma vieillesse ! Liberté, fraternité. Égalité ? Cela ira pour mes prières. Le vide est plein, plein de maisons, d’arbres, de gens. « La poésie sera faite par tous et pour tous ». Me voilà encore hier. Brisures du temps, dans l’été chaud des faux pas. La femme qui passe est belle, quel beau sourire qui flotte sur la ville. Je ne fus jamais seule.


Est-ce une ronde ? Comme sur le pont d’Avignon « l’on danse » ? Mer du temps, dans le ciel je place ma carte maritime. Angélique louve, toi aussi tu parles à la lune, que lui racontes-tu de la terre ? La fraîcheur des bois, la naissance d’une couvée, la mort de l’ancien ? « Pourquoi la lune ne parle pas ? » s’interrogeait Jacques Lacan ? Enfant, la nuit, j’attendais le marchand de sable en collant mon œil au trou de la serrure. Il n’est jamais venu à l’heure ou je l’attendais ; mais le vent, le froid me firent un orgelet, que je gardai en allant me coucher. Comme quoi la terre sait toujours répondre quelque chose à notre attente.


Un arbre peut-il être émouvant ? Ce n’est quand même pas un chat. Les arbres calment ma fatigue, j’aime les voir frémir quand tombe le jour. Alors je mets un gilet et c’est moi qui suis émue. J’attends dans ces instants la certitude de ma plume, je sais précisément que l’on ne peut voir les yeux d’une chouette, ce qui rassure mon cœur, et mon esprit alors vif. Je pèse le pour et le contre, le plaisir et le déplaisir, l’immensité de la joie et le bref moment de la peine. Ces sentiments là sont tellement plus tenaces que le bonheur.


Que le temps regagne sa course dans l’espace où les sons arrivent, perçants et explosants. Nous n’aimons pas le silence, nous n’aimons pas le bruit, nous aimons la symphonie bigarrée. Savoir respecter les objets, les faire à sa main, comme le stylo-plume avec lequel j’écris où le mod avec lequel je vape. Le ciel toujours, et les arbres qui déjà perdent quelques feuilles. Le ciel, un oiseau ou un papillon, passe. Une nonne passe, le dos un peu courbé. Une nonne passe, qui prie. Bientôt l’heure des courses ; le soleil, l’ombre, sur le boulevard. Dans deux jours l’école recommence pour les plus jeunes, les étudiants, préparent leurs dossiers. En automne nous ressentons tous un pincement au cœur, de joie et de tristesse mélangées.


Force de lionne qui défend et nourrit ses petits. Force comme on dit être saine et tournée vers l’avenir. Un tel présent pèse sur les épaules, comme se brise ma demeure, se salissent mes draps, comme eux voudraient que je plie. Comment nommer ce qui casse mon nez et mes reins, dans une glace je ne reconnais plus mes traits : je suis étrangère. Quel affolement court dans mes entrailles, cette canette de bière chaude que j’avale comme pour me débarrasser d’un poids grouillant dans mes muscles fatigués.


Ma langue, ma belle langue tu peux enfin dire le repos du corps et de l’esprit, pour qu’ils s’éveillent encore à la vie. La vraie vie loin de l’esclavage de la tyrannie. Leurs drogues, leur argent, leur prostitution, nous en faisons un feu où ils apprendront la même vie que les autres.


Je n’aime pas la loi des hommes. Je lui oppose la loi de la communauté des signes. Mon expérience qui va de bonds en bonds, comme pour engloutir la peine des années passées. Elle me dit « viens, cette fois-ci tu t’embarques à égalité parmi les hommes ». Ton être engourdi par tant d’efforts, tant de privations, la maison piégée, tant de signes à surmonter ! Ce soir j’oppose à tout cela la clarté d’une promesse déjà acquise, l’honneur de l’insoumission, ma gaîté qui rafraîchit mon corps et mon visage. Je me penche vers ce trésor qu’est l’oubli du mal, je tâtonne le bien et le trouve faste, dans mes mains adoucies.





Francine Laugier, septembre 2015.



© Francine Laugier, septembre 2015.
Licence Creative Commons
Est-ce une ronde ? de Francine Laugier http://francinelaugier.free.fr/texte2015/ronde.html est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transposé.
Basé(e) sur une œuvre à francinelaugier.free.fr.
Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues à http://francinelaugier.free.fr/.