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Francine Laugier

 

DEUX CONTES


Les noms et les nombres

 

 

Il était une fois, une petite fille qui s'appelait Lise. Elle ne voulait rien apprendre qu'elle ne connaissait déjà. Tout cela est bien logique.

Un jour, Bernard, le berger, lui demanda de garder ses moutons. Il dit à Lise : « Il y a vingt moutons. Quand je reviendrai du village, il faudra qu'il y en ait vingt. Compte-les toutes les demi-heures. » Lise ne savait compter que jusqu'à cinq, et encore elle oubliait le trois. « Comment faire ? » se disait anxieusement Lise.

Alors une idée lui vint. Elle se mit à regarder attentivement les moutons et leur donna des noms. Celui-là, court sur pattes, il ressemble à Octave, et cet autre, je l'appellerai Primo, celui-ci, Quinto. Et elle donna des noms à tous ses moutons. Il ne lui suffisait plus que de les appeler dans l'ordre.

Et voilà, Lise ne savait pas compter, mais elle savait nommer. De plus, comme elle n'apprenait rien à l'école, elle regardait par la fenêtre ou observait ses petits camarades, elle était devenue très physionomiste.

Quand Bernard le berger rentra, Lise lui apprit les noms des moutons. Et depuis ce temps-là, Bernard ne compte plus, mais appelle ses moutons par leurs noms.

 

 

13 août 2002



 

Le sac rouge

 

 

Il était une fois une petite fille qui s'appelait Leïla. Elle avait une tante très pauvre. Cette tante lui offrit pour son anniversaire un sac en plastique rouge. Quand Leïla l'ouvrit, un conte en sortit.

Et chaque fois qu'elle l'ouvrait, un nouveau conte en sortait. C'est ainsi que la petite fille apprit que les chats ne voyaient pas le rouge et qu'ils pouvaient voir la nuit, que le pissenlit fait faire pipi, et que si l'on compte les pattes de l'araignée en système binaire, elle devient un mille-pattes. Le sac rouge contenait mille trésors.

 

Bientôt Leïla fut trop grande pour porter un si petit sac. Elle le rangea au grenier, puis l'oublia. Leïla se maria et eut un petit garçon, Joël. Et Joël ne voulait pas porter le sac rouge qui avait été celui d'une petite fille. Un jour, un Gitan vint rempailler les chaises. Il était accompagné de Pepita, sa petite fille. Leïla offrit le sac à Pepita.

Depuis ce temps, le sac en plastique rouge n'a plus quitté le camp des Gitans. Il passe de petite fille en petite fille, qui, le soir, dans le cercle autour du feu, ouvrent le petit sac qui contient des contes merveilleux : celui de l'arbuste dans les étés secs, qui, lorsque le vent chaud agite ses feuilles, produit le bruit d'un ruisseau ; celui des fleurs qui ne peuvent diffuser leur pollen avant que des insectes ne viennent les butiner ; celui des poissons des profondeurs qui brillent comme des lampes électriques.

 

Quand elles parcourent le monde, dans leurs roulottes, les petites Gitanes disent aux villageois les contes que contient le magique petit sac rouge : les oiseaux qui guident les Pygmées vers des nids d'abeilles, pour qu'ils partagent le miel avec eux ; les pierres éparses dans le ciel qui tombent sur la terre au mois d'août en longues traînées de flammes ; les lignes de la perspective qui poursuivent un point si petit à l'horizon, qu'il est invisible, et fait paraître minuscule ce qui est éloigné ; et les marches de l'escalier qui craquent comme si l'on foulait des perles.

C'est depuis ce jour qu'on raconte que les petites Gitanes savent encore plus d'histoires que n'en contient le livre des Mille et une nuits.

 

 

14 août 2002




© 2004, Francine Laugier
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