Francine Laugier

 

 

 

 

 

L'AMOUR ET L'ÉPREUVE

 

 

 

 

 

1997

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tes cheveux ondulés

Que tant et tant de fois j'ai

Lissées

Ondulent

 

Ton nez cassé

Où se posent tes lunettes

Cachent tes beaux yeux

Ronds

 

J'aimerais t'en dire

Des paroles ouvrent

Un champ

 

Et ta voix à l'accent

Suave

Traîne comme ta main

Sur la mienne

 

Les baiser effleurent

Ma peau

Tes baisers mes baisers

Affleurent

 

C'est ainsi que l'on s'aime

Bouches où souffles

Soufflent

Le matin au réveil

Bouches ou soufflent

Souffles

 

Quand ne s'accordent nos voix

Sommeillent nos coeurs

S'éveillent nos coeurs

Nos voix se taisent

 

Tu rêves de navires

D'îles aux gens à la

Peau jaune

Tu rêves de ma joie

Où l'île c'est toi

 

Quand je n'arrives pas à dormir je ne

Compte pas les moutons

Tes mots de perles

Me servent à m'endormir

 

Je te surprends rarement à chanter

Parfois à siffloter

Parfois nous avons dansé

Tard dans la nuit

 

Ton corps, ta voix

Denses

Danse mon corps

Ma voix

 

Si par chagrin de mon côté

Je me tourne

Enlace-moi dans notre sommeil

Jusqu'au matin où je me trouve

Tournée, tête posée sur ton épaule

 

Si par chagrin tu te tournes

Laisse ma main chercher

Par delà l'épreuve

Ta main

 

Et si l'épreuve s'acharne

Qu'elle soit fardeau

porté

A deux

 

Par delà les mots

Par delà la connivence

L'épreuve s'acharne

Que jamais elle ne nous

Sépare

 

Quand la douleur s'acharne

Quand elle enlève les mots

Quand elle éteint les yeux

Que jamais elle ne nous sépare

 

Dans un lourd silence

La croyance

Dans un lourd silence

Notre amour, notre croyance

 

Il n'y a pas de berceau

Ce ne sont pas les cris

D'un bébé

Qui nous font sursauter

 

Pensons aux neveux disait

Descartes

Qui avait le sens des

Générations

 

Si ton sourire ne calme

Mon angoisse

Si ton sourire ne calme

Je ne pense qu'à te retrouver

 

Je doute. Tout n'est que

Cauchemar

Je doute de tout événement

Mais ne vacillent l'amour

Que je te portes ni mon humanisme

 

Nous avons trouvé une petite chatte

Mistounette

Si mignonne, si attendrissante, si

Aimante

 

Tous les trois la nuit

Comme sur un bateau ivre

Nous hissons nos voiles

Sous un ciel sans rêve car

L'épreuve s'acharne, s'acharne

 

Depuis tant d'années

Je n'ai que l'instant

Pour m'appuyer

 

Si un jour je m'éveille

Encore

Avec des jours et des jours

D'avance

Alors ce sera pour t'aimer et t'aimer

Encore

 

Pour parler, écrire, lire

Des jours, des mois, des années

D'avance

Pour parler, écrire, lire

 

Et s'il me vient de

Danser, chanter et boire

Accorde-moi tes pas

Mon amour

 

Et s'il me vient dans ces jours

Des larmes mon amour

Que mon âme ferme

Me ramène à toi

 

Les dés sont jetés, les deuils sont faits

Pas d'enfant

Et peut-être pas d'amis

Mais toi, toi tu es à moi

 

Et cela

Ton corps, tes mots d'esprit

Toi

Et cela est extraordinaire

 

Toi et tes richesses

Ton corps tes mots d'esprit

Ton travail, tes richesses

 

J'aimerais avoir autant à t'offrir

Cloîtrée dans mon mur de silence

Tu me dis je t'aime

J'aimerais avoir autant à t'offrir

 

Me révolter

Rebelle

Quand la transparence de l'angoisse

Transperce et cloue

Mon être

 

Un sursaut d'éveil

Je me regarde geignante

La douleur a laissé mon intellectualité

Endormie

 

Amoindrie

A chaque fois

Plus amoindrie

 

Plus fort, plus fort

Même amoindrie

Penser à toi plus fort

 

Quand on n'a plus mal

Quand cela fait silence et que

L'on a ses mots

Se tourner vers celui qu'on aime

 

Ensuite peut-être une page d'écriture

Ou un livre facile à lire

Ensuite

Un jour, des jours, peut-être des années

 

Peut-être la rencontre de nos sourires

peut-être des échanges intellectuels

Aussi, bien sûr, l'amour physique

Peut-être des années

 

Et la richesse en plus

Un ami, une amie

Et la richesse en plus

Du travail bien fait

 

Sur notre chemin

Des amis, du travail bien fait

Peut-être l'eau d'une rivière

Bien fraîche pour s'y baigner

 

Aujourd'hui ne manque pas de richesse

La plume en main

Ton arrivée retardée mais tes mots au téléphone

Pourtant une anxiété même plume en main

 

Quand mon esprit ne sait plus

Le passé

Même ce que j'ai fait le matin

Et qu'en un éclair je vois ma déchéance...

 

Mais aujourd'hui ne manque pas de richesse

Ni hier non plus, lecture

j'aimerais que tout à l'heure

On se serre dans les bras

 

Des souvenirs parfois du passé

Un couple charmant avec bébé

Si jeune

Et nous si jeunes encore

 

Déjà le poids du passé

Nous ne sommes pas encore vieux

Pourtant

Beaux souvenirs de nage jusqu'aux rochers

 

Des amis lointains ne font plus signe

C'était si difficile leurs sarcasmes

Je ne sais qu'en penser

Des amis lointains nous laissent tomber

 

D'autres presque perdus de vue

On ne cherche pas à les revoir

Le hasard nous laissant croiser

Dans les grandes avenues

 

Mais mon grand amour est toujours là

Petite Mistounette est survenue

Restent aussi les rares bonjours aux passants

 

Le matin je vais au bar

Personne ne me parle

Pourtant tous les matins

Je vais au bar

 

J'aimerais un jour

Revoir avec toi la campagne

J'aimerais un jour

Etre sereine à nouveau

 

Tu n'as pas de regrets mon amour

Tu m'aimes, tu es sûr

Tu ne veux m'abandonner mon amour

Je t'aime et j'en suis sûre

 

Mon regret mon amour

Tant d'années de souffrance

J'aurais aimé nous offrir mon amour

Tant d'années de joie

 

Combien tu es loin ma correspondante

Combien sont peut-être plus faciles nos mots

Combien tu es loin ma correspondante

Combien est peut-être plus facile d'être ensemble

 

Vois-tu, ici on ne me voit pas

A part celui que j'aime et ma

Mistounette qui miaule pour manger

Vois-tu, ici on ne me voit pas

A part celui que j'aime et ma

Mistounette qui miaule pour manger

 

La solitude ne me gène pas pourvu

Que je sente les autres vivre

La solitude ne me gène pas quand

J'arrive à écrire ou lire un livre

 

Parfois l'on est loin l'un près de l'autre

parfois me tire l'angoisse

M'enlevant tout poids et ta voix

Parfois si près et si loin

L'angoisse s'étire

 

Puis une lourdeur s'installe

Creusant le vide

La pensée éteinte

On se sent trivial

 

Quelque chose est éteint

Même dans votre regard

Et si parfois l'on sourit

On se sent grimaçant

 

D'autres fois dans un moment de répit

Pour consoler on se sent souriant

Mais l'ami dans un regard affolé

Demande : « Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? »

 

La psychanalyse que l'on croyait

Remuante à souhait

 

La psychanalyse que l'on croyait, là où l'on allait

Chercher et trouver

Dans les plus mauvais jours j'ai peur que

Mon angoisse monte

La psychanalyse dans les plus beaux jours

J'y radote avec grande anxiété

 

Le soir est arrivé j'ai fermé les volets

Le soir est arrivé sans que mon anxiété

Disparaisse

Mais si elle disparaissait ce serait peut-être

Pire

Et puis pour une fois j'ai un stylo en main

 

Voici que j'avais du mal à voir

Voici que l'angoisse monte

Voici que le son de la radio s'est élevé

Et un bruit strident en sort

 

Les meubles craquent

Ma pensée n'ose aller vers toi mon amour

Comme si je pouvais te gêner

Tu es ailleurs dans le centre ville

Tu dois me ramener un livre

 

Je sais que je suis chez moi

J'y habite depuis tant d'années

Pourtant je n'ose me mettre à l'aise

C'est physique

 

Penser à ta venue

Penser que je serai bien à me serrer contre toi

Penser à autre chose

Qu'à ces bruits dont je ne sais d'où ils peuvent venir

 

Mais peut-être tu vas vouloir de suite

Me parler

Tes mots alors martèlent

Je n'y comprends rien et

Pourtant tes mots me font mal

 

Mais pourquoi vouloir raconter

Au plus près

Je t'aime, je ne te le dis pas assez

Tu m'aimes et je le sais

 

Le jeune homme que j'ai rencontré un jour

Toi mon amour

Combien

Tant de souhaits alors

 

Ma petite chatte se tranquillise

Elle paraissait énervée

Mistounette m'apprend elle aussi

La patience

 

Qu'est-ce qu'une saison ?

Je sais encore ce qu'est un jour

Mais de la saison

Je ne connais que les désavantages

 

Je m'accroche aux frissons

D'automne

Je m'accroche pour survivre

Pour que l'on survive

 

Et quand je fais bouillir de l'eau

Pour le café

Je ralentis mon geste

Pour que survive le monde

 

Je voudrais communier

Communier

Avec tous les humains

De la terre

 

Mes mains tiennent la table

Comme elles tiendraient

Les astres

 

Aucune merveille

C'est glacial

De tenir les astres

Et je tremble

 

Les livres anciens je frémis

La fable

La fable dans la réalité

La réalité dans la fable

 

« Il y aura beaucoup d'appelés

Pour peu d'élus »

Et d'autres n'envisageaient

Que l'enfer

 

Mais ici, vivante

Ici sur terre

La réalité est un enfer

L'enfer est dans la réalité

 

Un homme, Bouddha a dit

La suite, je ne la dis ni ne la sais

Mais moi vivante je dis

Ma réalité est un enfer

 

Quand je tranche un bout de pain

Je ne fais pas la croix

C'est de voir manger l'autre

Qu'est ma force

 

Sans que je ne sache d'où

Il venait

Sans que je ne sache quand

Le mal se dévidait

 

Il tombait

Sans que je ne sache réparer

Cela tombait

Sans que je ne sache me préserver

 

Muscles, membres fatigués

Et la tête prise

Quelque chose de plus fort

Quelque chose à l'affût du terrible

Pouvait survenir quelque chose de plus fort

 

L'empreinte du terrible

Tunnels après tunnels

Où les yeux n'ont pas le temps

De voir le ciel

 

Jours, heures, minutes, secondes,

Mois

Secondes, minutes, heures, jours

Mois s'écoulent

 

J'avais oublié le repos

Ma raison en réclamait

Maintenant fébrile

Je me sentais plus souple

 

Après tant et tant

Un rêve se glisse

Sans que je sache

La durée

De ce qui survenait

 

La communauté où nous vivions

La frimousse de Mistounette

Si loin de la peur grimaçante

Des larmes au secret

 

Je me délectais

Joues

Caressant le coussin

Quand résonnèrent tes pas

 

De ton travail

Tu me parles

Diverses possibilités s'offrent

Mais laquelle est la bonne ?

 

S'éveille

Mon souci du souci

Que je te donne

 

Pour que tu saches

Que mon âme s'est reposée

Avec joie je te raconte

Mon rêve éveillé

 

Déjà une brume

Plus opaque qu'une frontière

Ferme encore plus nos corps

 

Si peu enlacés

Et ce que je tais

De toi mon amour

Je ne retiens que ce mot

Amour

 

Envahissant les jardins secrets

D'immenses points aveugles

Où gémissent ensemble

Corps, âme et esprit

 

Je ne suis pas folle

Ma raison, mes émotions

Défaillent

Je suis folle

Mes sens, mon corps

Défaillent

 

Perte d'équilibre

Si je regarde le paysage

Regard non loin

Visages, bosquets dans le jardin

 

Le sillage de la barque

Je prendrais bien

Le vol d'un oiseau

Là-haut

 

Aujourd'hui encore

Ma plume d'encre trace

Ce qui peut se dévoiler

De mon indicible

 

Des mots que je ne prononce

Des mots que je tais

Sans savoir au juste

S'ils approcheraient la vérité

 

Je me veux au plus juste

Des mots trop chargés

Eloignent mes pas

De mon expérience

 






© Février 2004, Francine Laugier
Le contenu de ce document peut être redistribué sous les conditions énoncées dans la Licence pour Documents Libres version 1.1 ou ultérieure.
<http://guilde.jeunes-chercheurs.org/Guilde/Licence/ldl.html