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Comme le bavardage d'une pie

« Chacun doit tenir bon dans la tranchée », te dis-je. Mes paroles te bouleversent. Tu as bu du vin rosé. Tu es légèrement saoule. La petite chatte Mitsounette à tes pieds. Tu pleures. Tu remercies Dionysos pour le vin qui te tourne la tête. Je te rappelle amie, Le gardien de chevaux, ce film chinois que nous avons vu il y a des années déjà. Je me souviens de l'impression. L'homme disait à peu près ceci : « On ne choisit pas l'aigreur ou la douceur de la vie ». Pleure amie, Dionysos veille sur toi, le vin te tourne la tête, pleure amie.



Je volette, je butine des signes. C'est comme un puzzle magique : les noms, les attributs, les hasards, et dans la beauté du dévoilement les figures se dessinent.



Pourquoi « la non-pensée », « le non-faire », m'envahissent sans me donner la sérénité ? Plutôt un vide, un aveuglement. Manque d'intérêt pour tout ce qui est quotidien. Désolation. Si ce n'était le corps, je serais sans grand souci pourtant. Je suis une immense plaine endormie : ni rêve, ni éveil.



Les noms de lieu cités à profusion font la beauté des Contes d'Ise.



C'est un tableau noir que je viens d'effacer. Je ne me souviens plus de la formule magique. Il s'agissait, il s'agissait de quoi au fait ? J'apprécie ce repos, comme après une grande douleur. J'aimerais quelque chose qui me console. Est-ce une vie ça ? Je n'en suis pourtant plus à capitaliser mon bonheur. Le sommeil a fait disparaître le rêve, et la corne du temps souffle qu'il est déjà trop tard. Les rendez-vous manqués, comme autant de rythmes laissés aux soucis qui s'en surchargent. Il s'agissait pourtant d'été, avec ses objets et ses travaux. Tout à coup la fatigue, au bord de l'évanouissement, tout mon temps est à repenser.



Ô Dieux, qui faites disparaître et apparaître, en découvertes ma journée fut faste, je vous demande encore quelque chose, faites que sur les ans je sois comblée du travail que je viens d'accomplir. Que je ne regrette pas mon choix, qu'au contraire je me sente à nouveau dans ma maison. Ô Dieux, j'ai passé les épreuves de la chosification, du silence, et les chiens à mes trousses ne m'ont pas fait dévier de mon chemin. Pour être respectée de vous je dois agir. Un nouveau cri se fait entendre en moi : du plaisir, du plaisir.



Ô Dieux, faites que sous votre regard j'habite mes gestes. Réveillez-moi pour que je puisse, dans l'ordre qui me convient, énumérer vos noms. Que je sois celle qui porte attention à vos qualités. Comme dans le passé, avec conscience maintenant, rencontrez-moi. Poursuivez-moi dans les rues que je sois celle par qui vous hantez la ville, que je sois choisie par vous pour écrire et lire les images.



J'étais en paix. Rien ne vint. J'étais enfin en paix, je voulais me remplir de bonnes choses : de mots. Aucun ne vint. Me voilà, après tant de tracas, étrangère dans ma propre maison. Mon attention avait quitté le point fixe du nœud problématique, mais voilà que je n'avais plus d'attention. Ça devait être la fatigue entrecoupée d'aigreur remontant de l'ancienne peine. Je n'étais plus en paix, les objets se dérobaient. Se vider à nouveau complètement : être un puits vide, prêt à accueillir l'eau de pluie.



Après ta visite, l'art se trouva dans l'immense cave fraîche, avec ses murs, ses colonnes, sculptés, qui donne sur un ciel de nuit froid. Cette étendue était à portée-de-main ; tout à coup le ciel devient faux, ce sont les pierres taillées qui accrochèrent mes sensations : cette immensité, belle comme des mains d'hommes font de vastes maisons, où reste prisonnière la lumière qui frappe les parois et rejaillit en plein centre.

Moi, la nuit, indécise, éveillée, j'écoute une femme plus âgée, elle me raconte que, parfois, la main non purifiée du médecin peut toucher le malade. Ce soir je suis seule dans la nuit, et j'ai peur. L'œuvre m'a séduite, j'ai défendu les animaux contre le fouet de l'homme, puis me suis longuement attardée devant le travail des humains.



J'étais une pute et une sainte à la fois. Maintenant quand on me traite de sociopathe, je réponds que je suis schopenhauerienne. Dans les nuages je cherche des visages, mais je préférerais y jouer à saute-mouton. Rien ne me rappelle mieux les nuages qu'un pré vert dans lequel je peux me rouler. Un jour, je me suis assise, et j'ai décidé que je traînerai dans la vie. Ce jour là j'ai compris que je n'étais pas faite pour courir. C'est comme les idées, je ne leur cours pas après, parfois elles passent et je tire le fil. Ce soir je m'aime, pas physiquement, je ne suis plus belle, je m'aime tout simplement.



Maintenant que je sais, je ne parle plus comme un perroquet. Maintenant que je sais, mes paroles s'envolent comme le bavardage d'une pie.

Sur la table, parmi les miettes de pain, pomme croquée à moitié, frugalité de l'aube.

Le coussin rouge et or sur la chaise, cache la paille qui se défait.



Je me retrouve. Seule, dans la nuit, je pense : quel monde sur la terre ! Et je donne plus d'importance à mes gestes quotidiens. Je vaque à mes occupations l'air plus vif. Celle que je deviendrai aura le temps de faire le ménage dans sa tête. Se chercher deviendra alors un jeu ; comme devant le mensonge, ma route est droite et arpentée. Par quel vent viendra l'appel ? Amie, cette vie est à faire comme on invente trois boules de Noël dans le désert. Il y a toujours quelqu'un avant l'écho : la terre est habitée. Le leurre aveugle, pourquoi n'y aurait-il pas de l'eau sur la lune ? Pourquoi ne pas connaître, comme à l'instant où nous mourons un peu devant le miroir, ce qui nous marque du sceau du vivant ? Penser pouvoir gagner aiguise mes sens.



Je ne m'habite pas toujours. Vide et pleine de lourdeur. Pour rencontrer quelqu'un dans mon jardin secret, pour que des trois lunes je sois éclairée, pour que ma prière me revienne épurée du temps qui passe, ô Dieux posez votre regard sur moi. Folie douce où je me prêtais vos gestes, où dépasser la langueur arrachait un instant mon amour. Ô Dieux combien j'étais heureuse !



Être éternel serait être mortel. La mort est entre le passé et le futur. Que deviendra le poisson rouge ? Il n'y a rien à demander, il n'y a qu'à prendre les instants. Manger une golden verte. Se parler comme à une amie. Je ne crois pas au ciel, sinon comme aventure pour les navettes spatiales. Je crois plus au grand Pan, au Dieu des forêts.



Patatras : ton cœur n'y voit plus rien. Dans ta ville délicieusement décadente, les heures lentes, la lourde chaleur ; mais où passes-tu pendant ces chiches journées ? Ta foi en la réalité est une foi de charbonnier. Ta prison n'est pas dorée, comme le rêvait pour toi ta mère. Le temps fait des nœuds, part dans le passé, revient. Tu voulais faire mourir ta peine, tu l'as grimpée la colline de ton passé. Tu te tournes vers l'arbre, tu lui murmures des désirs anciens, certaine de la présence de sa sève plus que de l'homme-mur aux multiples grimaces.



Des mille et une positions, aucune n'est bonne, insomnie.

Bateau qui corne, je bois du lait froid, déjà le petit matin.




Quand on tombe dans le temps, ne rien faire peut-être joyeux aussi. L'instant est comme l'éclair : aussi rapide et lumineux. Mais, pour moi dans l'orage il n'y a qu'un seul éclair, je dois souvent attendre des semaines, des mois pour qu'il y en ait un nouveau. Peut-être qu'avec plus d'expérience, ou de chance, je pourrais les rapprocher ces énergies qui me rendent si heureuse. Le bonheur, l'instant donc, vif et rapide comme un éclair.

Le vent s'est levé, et me voici à nouveau dans une monotonie du temps. Paradis perdu, le temps s'allonge comme l'on s'allonge quand on est fatigué. Cet allongement paraît durer l'éternité, c'est insupportable. J'essaie de me donner du plaisir : une cigarette, un verre de lait froid ; je recommencerais à l'infini à me donner des petits plaisir tellement ils me laissent insatisfaite. Ainsi va le temps. Ainsi va le temps où je ne suis qu'ombre.




Francine Laugier

Été 2011





 

© été 2011, Francine Laugier
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