Site de Francine Laugier

C'est ainsi

 

 

 

Francine Laugier

 

 


 

 

Je n'avais pas autre chose à dire : c'est ainsi.

 

 

 

 

 

J'ai grandi dans le silence. Puis j'ai gardé le silence. Aujourd'hui j'ajuste mes mots.

 

 

 

 

 

"Retrouver un chant", disait-elle. "Oui, mais que ce chant ne devienne pas une idole. Qu'il reste la parole donnée., qu'il reste la parole qui lève."

 

 

 

 

 

 

J'imprime dans ma tête des visions éclatantes comme ce champ de lavandes, quand, le matin, j'ai ouvert la porte du cabanon où l'on m'avait accueillie.

C'était plat et vaste, à perte de vue ce bleu. Je m'allongeai pour mieux voir. Rien ne bougeait. L'odeur envahissait mes narines. Et je remuais dans ce calme, rien ne me portait, du soleil plein les yeux.

 

 

 

 

 

Quand un poète parle de sa région, de son pays, tout reste ouvert. Quand un philosophe pense la nation, alors les frontières se dressent comme autant de boucliers, sans que la main ne desserre la flèche.

 

 

 

 

 

Et je me souviens qu'avec cet ami j'ai partagé des instants inscrits comme la croix que l'on fait sur le pain.

"Abandonner l'entraide et tout devient état, ou société, comme l'on voudra" disait-il.

 

 

 

 

 

Elle regrettait les années des revues, les années quatre-vingt. Puis tout est passé par les bibliothèques ou les centres de poésie.

Il faut vivre avec son temps. Mais l'ordinateur, l'ordinateur, qu'elle prise de tête ! Après tout, elle est d'un autre siècle.

 

 

 

 

 

La table de ping-pong ouverte. Pourtant, combien est désolé ce parc.

 

 

 

 

 

Son âme noie son esprit. Elle était entraînée. L'idée qu'elle pouvait mourir là, loin de chez elle, lui était insupportable.

Lui, c'est de ne pas voir le ciel. En montagne quand il ne voit pas l'horizon, il est pris de vertige.

 

 

 

 

 

Les coquelicots dans la gouttière. Je passais, rue Fort du Sanctuaire.

 

 

 

 

 

Quand elle était enfant, elle écrivait sur des carnets d'épicier que son frère lui avait ramené du marchand. Elle s'est habituée à écrire le peu de sa vie.

Stylo en main, je trace. Je suis têtue.

 

 

 

 

 

Qu'importe la lassitude, sous un édredon en plumes.

 

 

 

 

 

Le vent de la mer est tombé. De la colline brumeuse je ramène du thym.

 

 

 

 

 

La barrière. Derrière, les chats sauvages. Je les appelle.

Presse ton pas, avant que ne t'avale l'ombre qui s'agrandit.

 

 

 

 

 

Quand elle se rendit compte que tout brûlait, elle sentit son coeur battre si vite. Elle savait que son corps se consumait lentement. Mais ce n'était pas voir sous ses yeux tout se consumer sans flamme.

Est-ce que tout se reproduisait dans un feu sans flamme ? Plus de reproduction. Un cercle fermé. Tout ce qui existait se consumait.

Son coeur battait vite de voir tout se consumer dans un feu sans flamme.

 

 

 

 

 

Aujourd'hui les hommes sont monté si haut, sur le poteau électrique.

Décembre, l'ombre est grande, si grande, en traversant la carrière.

 

 

 

 

 

Si je dis "j'aime bien ce tableau", "j'aime bien", vaut un peu moins qu'aimer. Mais si je dis "j'aime bien sa démarche", "aimer bien" alors vaut autant qu'aimer.

J'aime bien ce temps neigeux, surtout si les fêtes sont là. J'aime ces fleurs qui s'ouvrent et se ferment, et se penchent vers le soleil. J'aime écrire ce qui vient.

 

 

 

 

 

J'aime bien passer par cette rue. A portée de main ces maisons basses, aux fenêtres fleuries. La rue est étroite, sans voiture, on marche en plein milieu. J'aime bien cette rue, où je croise l'homme au chapeau. J'aime bien cette rue, où il me prend d'imaginer habiter. J'aime le nom de cette rue : rue des Neiges. Alors qu'ici ne battent que le soleil et le mistral. J'aime bien faire ce détour pour arriver jusqu'à chez moi. Quand je me rends au bar-tabac, où au marchand de journaux, je fais le détour, je passe par la rue des Neiges.

 

 

 

 

 

J'aime cette chanson de Barbara. Elle me fait penser à mes temps anciens. Quand un fatalisme ne m'empêchait pas d'agir. J'avais alors les cheveux longs et les jupes courtes.

Quand je portais sur moi l'adresse de l'amant. Quand ma brutalité prenait les gestes d'une princesse. Alors l'harmonie du temps et de l'espace, et mon front défilaient. Et sur un carnet j'avais écrit "il est mourant et je le hais".

Alors le mouvement du soleil allait avec la paye, et le soir au bar, on buvait du vin rosé.

 

 

 

 

 

J'aime bien nourrir les chats dans la rue pentue. J'aime Mitsounette, cette petite chatte fidèle. J'aime la caresser, l'entendre ronronner.

Toutes les deux ont fait "la tente" avec le lit. On s'engouffre dedans, et avec mes jambes que je remonte, je fais de l'espace et de l'air.

J'aime les chats de toutes sortes.

 

 

 

 

 

C'était le dix-sept janvier à dix-sept heures moins le quart. Une bouteille en plastique pendait à une ficelle dans le jardin, sans doute pour attraper les insectes.

 

 

 

 

 

Dire sa peur l'augmente. Dire sa peine l'atténue.

 

 

 

 

 

Il lui arrive qu'on frappe à sa porte pour lui demander un ainsi soit-il.

Il lui arrive aussi d'oublier d'éteindre sa lampe de chevet.

 

 


 

 

Paru dans ATC 10

© Février 2000, Francine Laugier
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