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Francine Laugier

 

CÉLÉRITÉ ET ÉCRITURE

 







Le 11 avril 1998

 

 

C'est le matin que je suis partante pour l'écriture. Dans ma tête, des ébauches de livres.

Qu'elle gueule de bois après avoir imaginé être éditée. J'imaginais écrire un livre qui aille vite. Le contraire de ma vie. Ou alors un livre qui parle de l'écriture. Et voici que mon livre devient profond alors qu'il partait sur une moquerie de ce qui se fait d'habitude. C'est grotesque comme je suis bloquée.

C'est une drôle d'impression, quelqu'un qui nous connait et qui dit "elle" en parlant de nous, devant nous.

Quand je suis là, elle dit "elle" en parlant de moi. Elle me ravale au nombre.

Je ne sais pas assez la structure de mon livre. Je le ressens un peu comme une hallucination olfactive. Par à-coups. Tout s'élève sans que j'aie le temps de rien noter. Et quand je recherche, tout est évasif. Aussi, on pense avec un stylo en main.

Alors reprenons : le matin, quand je suis au lit, me munir d'un cahier et d'une plume tout en pensant écrire. Mais la pensée va plus vite que la main qui trace des lignes. On préférerait qu'elle précède comme l'ombre quand on avance dos au soleil.

C'est cela le plaisir, cette vitesse qui étourdit. Mais pourquoi le fantasme laisse-t-il si peu de trace ? C'est ce qui fait un vide après la hotte pleine. Ce qu'on écrit est souvent déchets de notre pensée. Mais écrire vraiment, c'est se mettre au rythme de sa plume, et prononcer en même temps que l'on écrit. À la Recherche du temps perdu est un bon exemple, il fait sentir le temps de l'esprit qui s'allonge pour permettre sa retranscription.

 



Aprem

 

 

 

Pour saisir les idées, quelque part, je dois me mettre à ma table. Quand j'y suis, c'est oser partir. Poser une idée après l'autre. Mais avant il faut penser dans sa tête. Et je reviens au cercle de ce matin. Ça va trop vite, en même temps on est trop enivré par cette vitesse pour prendre note. Alors ? Peut-être ne peut-on faire chaque fois l'économie de la gueule de bois.

L'écriture pour moi va toujours avec des drogues : boissons, cigarettes, cafés forts. Tout cela à forte dose. De rares fois pourtant je n'écris que ce que j'ai à dire, sans avoir d'autres besoins. Comment retrouver cet état où tout coule, où l'on saisit bien ce que l'on veut dire, le son et le geste dans une même mélodie ? Peut-être en agissant le plus vite possible, sans se laisser trop envahir par la rêverie. Cela demande une confiance en soi, et l'oubli de vaines compétitions. Même s'il s'agit d'ajouter une pierre à la maison commune. Mais où prendre cette assurance ? Parfois j'ai tendance, toujours même, à cultiver mon jardin. Parfois tout en moi est alors tendu à trouver la fleur la plus rare, toujours dans mon jardin.

Balaie le pas de ta porte avant de t'occuper d'autre chose. Après tout, le dicton à peut-être raison.

Je n'ai pas le sentiment du devoir accompli. J'ai plutôt le sentiment d'avoir dit ce que je devais faire.

 


Le 13 avril 1998

 

 

 

Ce n'est plus comme avant. J'ai l'impression de n'avoir plus rien d'extraordinaire à dire. Je me compare trop à mes auteurs préférés, et cela me paralyse. Ils ne sont plus les moteurs de mon écriture. Ils ne l'ont jamais été. Ils sont de délectables lectures. Mais que je ne m'avise pas de les refaire.

À part Francis James qui m'a fait aimer la ponctuation, et surtout les répétitions qui font refrain.

Je m'acharne à décrire des états plutôt que des actions. L'ambiance d'un auteur, alors que l'action est l'ambiance d'un texte. Je suis plus existentielle que formaliste. Plus contemplative qu'active. Mais la contemplation demande tout doucement de brûler l'image, demande de minutieuses descriptions. Je suis quelqu'un de pressé. Tant mieux, c'est déjà fait : je pense à l'école russe.

Mon écriture fait faire des bonds au lecteur. C'est par larges touches que je dépeins, comme je parle, tout en pointillisme mais à gros points.

J'admire de plus en plus les chanteurs et les chansons qui plantent un décor avec si peu de moyens : Gainsbourg, Souchon, La Fontaine... Un minimum de moyens pour le maximum d'effets.

Je ne sais pas pourquoi j'écris cela. Je me sens au ralenti, presque au point mort. Là je n'écris pas pour concevoir. Espérons qu'après, ma porte sera bien balayée. J'y mettrai des géraniums, ou cette plante piquée de petites fleurs rouges, oranges ou jaunes, au nom difficile à retenir, qui ne s'arrose que tous les dix jours et qui tient bon aux bourrasques de vent.

 


Le 14 avril 1998

 

 

 

Dénouer la crise par l'écriture. On me reproche alors une écriture qui sert à soigner. Ne plus savoir ce qu'est mon écriture. Pourquoi pas les deux : quelque chose qui serve à avancer sur le malaise, et qui soit de l'écriture.

Pour tel autre, ce sera un vide qu'il remplit en écrivant. Après tout l'écriture tient au rêve. Ou plutôt à l'utopie. On s'arrange avec, on arrange les situations. C'est pour cela que tel écrivain nous ennuie alors qu'on aime ce qu'il fait. Pour un autre ce sera peut-être le contraire. En même temps l'écriture est une bonne prise avec le réel. On y parle de la réalité, comme de la rotation de la terre ou d'une révolution mondiale. Bien sûr on triche sur ses connaissances et leur quantité. On peut même inventer des connaissances, ou extrapoler comme fait la science-fiction.

J'aimerais décrire la couleur rouge d'une jeune fille, puis d'une femme de trente ans, ainsi jusqu'à la cinquantaine.

Après tout, le réel c'est à quoi l'on se heurte. Après tout, la maladie fait résistance et il est bon de s'y attaquer avec l'arme que l'on possède. Un stylo fait l'affaire.

Inventer un personnage peut donner du recul. Plume, de Michaux. Mais il faut que l'auteur reste derrière son texte pour qu'il soit vivant, qu'il nous parle.

Hier je parlais d'ambiance. Le livre doit avoir un ton. Le même du début à la fin. Ce que l'on peut me reprocher, c'est que je veuille vivre d'abord avant d'écrire. La haute tonalité jaune, je la cherche d'abord dans ma vie.

Donc l'écriture n'est toujours pas, pour moi, cette acuité du réel que je prends sur le vif. Mais plutôt, cet après, une réminiscence. Ou bien, plutôt cet embrayage, pour retrouver la haute tonalité.

L'écriture pour moi est une sieste, où je me tiens entre sommeil et éveil et où je tire l'avantage des deux, jusqu'à ce que l'un prenne le dessus et achemine les pensées vers les cimes.

Mon écriture fut longtemps un brouillage du temps, de l'espace. Un brouillage de cartes. Je m'amusais aussi à brouiller les classes sociales. Elle sautait de la rêverie la plus profonde au réel le plus frappant, sans que l'on puisse garder son équilibre. Je décrivais le vacillement du réel vers l'avant. Alors que je me voulais enivrante, c'étaient les passages qui le devenaient.

 


Pus tard

 

 

 

S'humaniser, accepter sa connerie. Jouer aux questions et leurs réponses.

 

Qu'est-ce que la solitude ?

Sa voix qui revient en écho.

Des mains dans les poches.

Les petites portions au supermarché.

Ne pas pouvoir demander « ça me va ? »

Le plein tarif à la SNCF.

 

Qu'est-ce que la folie ?

Un cauchemar dont on ne se réveille pas.

J'en veux bien un grain par seconde.

Oublier les futilités.

L'opacité de l'extérieur.

 

À quoi me fait penser le bleu du ciel ?

À l'envers d'un abîme.

Quand je me couche sur l'herbe, a un plongeon monstrueux.

C'est vrai, qu'est-ce qui fait qu'il est bleu ?

 

Qu'est-ce qu'une enveloppe ?

J'aime quand mon nom y est écrit à la main.

Il en est des grosses et des petites.

Je n'ai jamais su les ouvrir proprement.

La pochette surprise des grands.

 

Qu'est-ce que l'énervement ?

Du vin aigre que l'on ne peut s'empêcher de boire.

Comme si l'on voulait mordre un courant d'air.

 

Qu'est-ce qu'un poème ?

La subjectivité qui s'élève au général.

Des mots quotidiens à l'ample connaissance.

On dit parfois « c'est tout un poème ».

Il en est des longs et des courts des légers comme une feuille, des lourds comme un cargo.

 

Qu'est-ce que la révolution ?

Là où s'en vont les fleurs du temps qui passe.

Un air populaire qui tourne au drame.

La révolution mondiale on la voulait aussi permanente que la révolution terrestre.

 

Qu'est-ce que l'ennui ?

Un pousse au suicide

Une vie allégée.

Une maladie transmissible.

 





© 2004, Francine Laugier
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