Francine Laugier - Dans la nuit

Dans la nuit

Le sommeil était dans le rêve. L'été assombrissait la peau. Pendant que les gestes des vieux s'alourdissaient, ceux de la jeunesse devenaient plus rapide ; leurs rires criards pénétraient les corps.

C'est mon âme qui allait vite. Elle tombait dans l'ombre, pourtant j'étais comme un bout de bois incandescent que guettait la mort. Effrayée, brûlant les instants, je parcourais l'espace, étouffant mes plaintes.


Je sens le vide des mots, pourtant si pleins quand nous savons les utiliser. Mes mots n'enjambent plus, ils font des sauts de puce, ils veulent me faire flâner. Comme ne voulant plus partir, je reste collée à ma page blanche, traînant chaque mot, loin derrière ma pensée. Pluie d'anecdotes que je laisse courir. Chut ! J'aimerais entendre la voix, celle qui est sensible à mon écriture, celle qui aime approuver quand attentive j'écoute ses conseils.


L'amour est un mirage que j'ai vu passer dans les nuages. Heureuse, je promenais dans la foule, je fleuris la maison. J'avais oublié qu'il y a des caves avec leurs revenants parmi l'odeur forte de pommes-de-terre germées. J'ai lutté, longtemps, longtemps. Aujourd'hui que la neige est tombée dans mes cheveux, j'ai trouvé un calme bienveillant.


Je ne parviens pas à tomber dans l'espace, je flotte. Flottement de mon esprit aussi. Je suis dans ma cuisine, je n'arrive pas à faire corps avec les objets qui m'entourent. Je n'arrive pas à faire corps avec mon corps. Pour me calmer de cette extériorité je me fais de la tisane au miel. Toujours pas consolée, je tente du café bien fort. La musique du frigidaire, puis celle de la chaudière, me réconfortent dans ma tentative d'habiter le lieu. À l'écoute, voici que le bruit mécanique du réveil m'énerve, me presse, affole les instants. Il n'y a plus que ce tic-tac qui me tape sur les nerfs. Je rêverais d'entendre le doux « ronron » d'un chat.


Tu restes si près, pour aller si loin avec lui. La confiance en ta parole donne de l'intensité à ton aventure. Tu vas de l'avant, comme quand tu as noté son nom sur ton agendas. Tu penses qu'il te reste encore du temps et du plaisir à grignoter la montagne de la connaissance.


La souffrance se retire de mon corps. Des larmes sèches ? Non, décidément je n'arrive plus à pleurer. Tout mon être tend à retrouver la délicatesse. Des pointes aigües de douleur se font encore sentir, et je sais qu'à mon âge tout ne fera qu'empirer. C'est bien ce qui me désespère. Ne suis-je pas debout pourtant ?


Vois, comme la lune veut me garder avec elle. À elle je confie ces bouts de vie, perles lumineuses de curiosité. D'intimes douceurs a la mémoire de cette amie fidèle. Ma plume cesse de vouloir dire. Lune, plume, laquelle est la plus belle, la plus rebelle ?


Comme si je me vidais de mon sang, la peur, tapie là dans mon ventre. Mettre des mots sur ce futur sans futur, sur cette peine dans l'instant. Je pense au cri, celui où je dessinais enfant mon destin d'adulte, celui qui eut valeur de pacte. Le cri, ce désarroi, cette folle promesse, croyant partir dans ce cri, pensant qu'il allait m'emporter. Aujourd'hui j'ai envie de crier au futur : « Sois meilleur avec moi ».


Est-ce sa jeunesse qui me fait tenir un bavardage si enthousiaste ? Je lui parle du rêve, celui dans lequel je me tenais en éveil, pour les mille petites et grandes choses. Des gestes de déesse, le rosé frais, la lecture, et la nuit qui prenait mes mots jetés sur la page, phrase après phrase. Sous le regard des Dieux j'œuvrais. Parfois la volonté aiguisée me faisait mal avant d'agir. Aujourd'hui je me trouve comme une feuille d'arbre, rainures pleines de sève, plaquée au sol : c'est mon automne. Je mourais séchée dans une page de livre.


Toujours de garde, la nuit… je n'arrive pas à me laisser aller au sommeil. Sourdement mes genoux me font mal, et font prisonnière ma pensée. Ils la ramènent dans un coin reculé, où vit le chagrin de ma vie, entouré de nerfs noués, de serrements de gorge, de tressaillements du cœur.

La nuit je garde le secret de cette parole jetée, où sourd la rumeur des âmes. Parfois avec l'amie nous nous ressemblons comme deux gouttes d'eau.


Je voyage en moi, nostalgie de l'harmonie avec le tout, je voyage à travers le temps. Tout est dépôt de l'esprit, l'ensemble vit, comme travaille le meuble en bois qui craque. En union nous voyageons sur un ciel devenu calme. Tout parle, et seule dans la maison, je parle fort. Je dis le froid et le chaud, je dis mon ignorance du dogme. Quand se lève le matin je respecte le chant des oiseaux, j'écoute d'une oreille attentive. Dieu s'est toujours tu pour moi, comme embarquée dans un vaisseau, je faisais corps avec la Terre.


Quand la ville s'est tue, quand le soleil a avalé ses dernières ombres, je m'éveille avec la lune. Comme elle, parfois pleine, parfois vide, je suis changeante. Je me veux naissante chaque jour, je me veux toujours croissante au souffle de la vie, et pleine à chaque nouveau poème.



Francine Laugier, mai 2013



© Francine Laugier, mai 2013.
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