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Je fus de ceux qui l'ont pleuré

 

 

 

 

 

 

 

 

Klimt : le naturel dompté.

 

 

 

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On ne peut pas dire les choses réelles sans paraître fou. On est obligé d'y mettre de soi. Alors les choses les plus folles passent. On ne peut s'abstraire. La réalité crue est indigeste.

Qu'est ce donc ce regard si sévère, Apollon ? Une déesse qui vole en position de lotus ! ça ne peut-être que Circé. Et je veux en finir avec elle.

J'ai fermé les yeux trop tôt. La vision a disparu.

 

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Je suis née sous le signe d'un parjure. Et ta force fortifie mon contre. Ton buste large, ton esprit éveillé. Ton buste large où je m'appuie. Tes bras que je saisis pour entourer ma taille. La sève de nos sens dans nos corps, et nos armes se mêlent. Tu me fais oublier l'adolescence de mon premier amant — où le corps n'était que le corps, où l'objet de mon amour n'était qu'objet de désir.

 

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On joue à qui d'elle ou de moi surgira la première. La mort pratique la télépathie, et de sa voix anonyme me rappelle à l'ordre. Elle surgit : je suis surprise, je sursaute. J'ai peur d'elle plusieurs fois par jour.

 

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Je ne dis pas la bête qui s'enfuit devant le chasseur.

Ce bruit, ce bruit des bêtes qui s'enfuient. Ma pensée va vers elles. Ce bruit de la fuite, et moi dans mon lit qui les regarde passer : les cerfs, les biches... Puis les hommes sur leurs chevaux. Les bruits de sabots des bêtes me poursuivent.

 

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Trouver un terrain d'évasion. Être appliquée. S'évader, c'est bien toujours ce qui m'a fait peur. J'ai toujours voulu être dans le réel. Quitte à en être prisonnière. Quoi qu'il se passe on s'évade, ne serait ce que dans la folie.

Laisser le temps s'enfuir. Pourquoi vouloir le retenir alors que de toute façon il s'échappe des doigts. Autant le sculpter dans l'action. Nous sommes tous des sculpteurs du temps qui passe.

L'éternité est une grande horloge, mais c'est nous qui sculptons son débit, c'est un mouvement perpétuel. Le temps chevauche le dauphin. Le temps est premier, il est masculin. L'espace est second, il est féminin.

 

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Ce matin, comme un courant d'air qui me poussait, je frayais le passage. Dans la rue des travaux : tout n'était que guerre, chaos, destruction. Rien n'avait de bon sens, rien n'avait de sens. Mon regard vieillissait tout. Comme une carte à puce, je n'étais qu'informations, je n'avais plus d'âme.

Il a fallu que je pétrisse avec toi l'histoire pour refaire surface.

 

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Sans le vouloir aucunement, j'appelle le spectre qui se trouve dans la maison. Aussitôt il me répond. C'est comme s'il faisait partie de mon eco-système. Si je mets ma volonté au service de son appel, je n'ai en échange que son silence. Ce qui m'agace et me mets en colère. Je ne dois pas l'attendre, il se manifeste quand s'imprime légèrement en moi mon invitation.

 

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D'habitude, c'est dans ma poitrine les sanglots, alors que là, c'est dans ma tête. Ma tête pleure. Je t'assure, ma tête pleure.

 

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En vacances, je n'avais pas de plateau, aussi, pour servir le café, je mis les tasses sur un plat à tarte. Il me trouva d'une féminité amère. C'était un homme classique, qui avait connu sur le tard mai soixante-huit, et n'en avait retenu que la social-démocratie. « Chacun à sa place », me dis-je à sa mine.

 

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Même les paroles, d'une humble gentillesse, je ne les entends plus. Sous ma misère, j'ai mal, je croule, j'étouffe. J'ai crié, j'ai appelé ma mère ; mais mes cernes, sous un ciel noir, se sont creusés. Cette nuit, dans le silence qui pèse, j'ai beaucoup perdu. Mon corps, abîmé par la disgrâce, me rejette au loin. Et de là, j'essaie de bricoler un semblant de paraître. Je vais continuer, en apparence, si différente de ma jeunesse.

 

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J'ai encore quelque chose à dire à la nuit : une lumière est tombée, pourtant mon œil intérieur y voit clair. Comprendre ce que me dit le rêve n'est pas briser son secret.

 

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Je fus de ceux qui l'ont pleuré. Cela donnait au jour l'annonce d'un mauvais rêve. Ma vulnérabilité sous le sens qui se déployait : mon esprit errait sous le nom des rues franchies. Le cri des mouettes, joyeux, dans un ciel nuageux. Sous une pluie de significations : père, mère, je me déshabillai dans l'avenue, comme un petit enfant venu au monde. Et quand le jour dressa sa table, je n'étais pas prête à la clarté.

 

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Baignée dans une lumière de clairs-obscurs, je sus qu'il était trop tard. Dans mon absence, mon destin avait continué son chemin. Le réveil était brutal. Je lui téléphonais tous les matins : il n'était pas content. Quand on perd jusqu'à sa nuit, on peut dire qu'il est trop tard. Encore, le jour, on le maquille d'attentes, et d'attentes encore. Mais la nuit cache tous les baisers, sans cela la robustesse disparaît. En mai je t'ai rencontré, et je l'oubliai. Je me mis à aimer ce boulevard qui montait jusqu'à toi. Aujourd'hui encore, j'aime monter le boulevard Vauban.

 

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Un beau matin, on s'aperçoit que les arbres ont à nouveau des feuilles. Dès les premiers bourgeons, on les guettait, mais c'est seulement quand elles sont assez grandes qu'on les voit. Jamais avant. Cela se fait du jour au lendemain. Chaque année je suis surprise par le feuillage.

 

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Francine Laugier

Avril 2007

 

 





 

 

 

© Avril 2007, Francine Laugier
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