Site de Francine Laugier

Face à l'image

 

 

À Marseille, les bateaux se déchargent d'oranges d'Alger.

Dans Alger la blanche, les abattoirs s'ouvrent. Alger où les tissus traditionnels ferment les portes, essayant de garder la fraîcheur de l'hiver. Alger ville fantôme où se perdre est se retrouver.

La plante sur ma fenêtre est fatiguée, le sirocco l'a noyée, le vent hurlait à ma porte, et Marseille devint rouge.

 

*

 

Elle est venue me dire adieu. Devant son témoignage, je n'ai su qu'être triste.

 

On aimerait au moins laisser une méthode pour le futur, que la trace devienne connaissance.

 

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Plus rien ne marche dans la maison. Mon volet ne ferme plus, le chauffe-eau fonctionne quand il veut, il faut refaire le toit, pourtant c'est ma maison.

Et suivant comment le vent souffle, j'entends les trains entrer en gare Saint Charles.

Le hasard de la vie ne m'a pas donné d'enfants, ce qui me fait prendre envers eux une attitude virile : tous les enfants sont un peu les miens.

 

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Des têtes de mort rigolent. Je suis entre le sommeil et l'éveil et des têtes de mort rient. Je me demande bien pourquoi.

 

Éteindre, ouvrir les volets et voir le jour qui tombe. Non, il se lève plutôt. Il se lève, mais il tombe quand même.

 

*

 

Qu'importe si le vent tourne en rond, du moment qu'un homme viendra. Des arbres, j'ai tant aimé les bras croisés derrière leur tête, qu'une fois j'y ai gravé mon nom. Ce n'est pas tant la voix forcée des oiseaux qui éloigne mon sens de l'orientation, que l'effort de mes muscles solitaires où puise un cerveau défait par tant d'ingrates questions. Une rose dans ta gorge, qui éclate d'un froissement sombre, et crissent tes dents, ta langue, une truite vive. Qui sortira de l'allée du Bois sacré où l'âme, la patte cassée, compte les refrains qu'a capturés mon enfance d'exil, où le malade n'écrivait plus, et il ne me nomma pas. Comme une toupie qui ne tournait plus, je réalisais que les baisers courent le long de la route communale, pleins de sueur, arrivent au lavoir des femmes, où le battoir, ce cœur qui bat vite, élime l'heure où le café mord l'épine dorsale. Puis un après-midi d'amertume, oubliant le zéro du maître d'école, alors que l'homme à l'odeur forte de gauloises, se tenait tout près de moi, j'ai voulu grandir. Et la réelle lumière du mois entourait mes hanches à peine marquées.

Je me demande encore pourquoi je n'ai caressé aucun petit animal, ni comment mon rimmel faisait tenir droit mon regard. C'est ainsi que j'aperçus une pancarte : fin de l'agglomération. L'essentiel est de tourner sa langue sept fois. Comme le perroquet reprend au début : Ce n'est pas un faux pas, ce n'est pas moi, c'est la pluie qui tombe dans le caniveau, et j'accomplis un pas de rock. C'est depuis ce jour qu'à la vue des étoiles, je me sens seule. D'autres y voient la création de Dieu et y entendent des voix. Mais moi je m'y sens seule.

 

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Alors l'indépendance vient comme le caprice d'une chatte tigrée, puis ronronne seule dans son coin en attendant qu'on vienne la caresser.

 

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© Juillet 04, Francine Laugier
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