Site de Francine Laugier

HAÏKU



Je n'avais pas vu le ciel, jusqu'à ce que je vis des nuages. J'aurais dû pousser ma promenade plus loin, poursuivre les nuages, jusqu'à ce que j'arrive à la plage. Mais voilà, mon pas s'est arrêté bien avant. A la terrasse du bar nous avons pris un café et pendant que nous tirions sur notre cigarette le froid descendait.


Dans la nuit calme je pensais : nous sommes tous embarqués dans la même histoire, et elle ne se répète pas. Il y aura toujours des « passeurs » de langues et de civilisations.


Des tourtereaux en nombre sautillaient autour des tables. Ronds et allongés à la fois, après-midi de semaine, ils avaient l'espace pour eux. Ensemble ils voletaient jusqu'à la pelouse, puis revenaient picorer ce qu'il restait de la fin de repas.


Nous étions au mois d'octobre. La première semaine passa en s'étirant, avec ses enthousiasmes et ses attentes fébriles. La seconde fulgurante et aérée, me laissant vaguement fatiguée, se terminait en même temps que la grosse chaleur qui était apparue en fin d'été. Le ronron se terminait, l'énergie accumulée demandait plus d'action, plus d'éveil.


L'autre que l'on aime, y prêter plus d'attention. L'autre que l'on n'a pas trahi, que l'on retrouve dans ces moments de grande nouveauté, où la force de l'âge promet d'autres desseins.


Juste avant le jour, je me suis levée, dans la pénombre fraîche de la cuisine, j'ai déjeuné. Dans la ruelle un enfant courait, le ciel était gris. Des mots qui ne me venaient pas, que je cherchais, j'entendais le cri des mouettes, quand le facteur sonna. Pourquoi le sommeil ne me quittait-il pas ? Je me sentais déchargée du poids qui m'avait accompagnée ces jours derniers, mais lourde d'un chagrin ténu.


Elle parle, elle me raconte, combien de souci, elle dit. Je comprends.

Oui, c'est la guerre des nerfs, comme les pattes d'un oiseau sur son fil électrique, nous sommes tentés de multiplier les résistances à la dureté de ce qui nous habite. Mais ne sommes-nous pas mieux dans ce combat à la vie ? Dans ce combat de la chaîne de la vie je prends ma place.


Quand il dort, il ressemble à une cariatide. Ses bras puissants supportent la nuit.

Quelques étoiles sur Marseille, je mêle café fort et vin rosé, un chien aboie à la lune. Nœud dans la gorge, la lune blanche sur les toits de tuiles, une prière s'enfuit. Je joue à cache-cache avec le sommeil, radio allumée, fenêtre ouverte, je glisse dans les draps blancs. Boules de nerfs, fleurs de lauriers blanches sous la lune, bruit éraillé d'une porte de garage.

Sous la lune rousse, comme une athlète, après le sommeil je cours. Boussole affolée, nuit après nuit, au jour le jour.


Le ciel étoilé, assis sur le banc des Alpes. Toutes ces étoiles, ciel chargé d'étoiles comme jamais. Les cartes postales aux voisins, la peinture sur bois, et les pommes-de-terre cuites sous la cendre. Puis les bercements, les disques, l'oursin en moi, tes promenades en solitaire. Comme des papillons de nuit, attirés par la lumière, des jeunes filles sous la fenêtre. Bavardage, rires de jeunes filles dans la ruelle, c'est l'été indien.


Juliette Greco chantait : « je hais les dimanches », boutiques fermées, bus rares, rues désertes. Autant faire son ménage ces jours-là. Les après-midi traînent en longueur, parfois je finis par aller faire un tour. La ronde des bières, le marin buvait, le bar tournait pour moi aussi.


Ecrire, silence. Il pleut, les feuilles mortes vont pourrir. Je n'y vois plus rien, j'allume. Nous avons enlevé le masque-lampe, presque crue la lumière. Je ne sors pas, je reste au lit, comme une chatte frileuse. Goût de réglisse, saveur d'enfance, crayons taillés.


Comme dans toutes révolution, les enfants ne sont pas innocents, je le sais maintenant.

Révolution technique, révolution, révolution surréaliste.


Sommeil, sommeil où mes lèvres tremblent. Est-ce ça dormir, des pensées qui se perdent dans l'oubli de la nuit ? Nuit où les labyrinthes se mêlent, ils voient s'évanouir ma profonde fatigue. Être réveillée si vite, murmures comme vibre l'air, qui m'étreignent comme une multitudes de soupirs.


Amie, tu n'as pas le moral, accorde toi aux mots, Séléné brille pour toi. Tu pensais que la pleine lune n'était que pour moi, d'un pas croissant, elle apparaîtra dans la nuit, attendre tout un jour, pour briller à nouveau.

Si je pouvais être la lune pour voyager dans le ciel, j'éclairerai les enfants d'un doux sommeil.


La lignée d'arbres me rappelait un tableau de Klimt. La fin d'été était là, cela accentuait la profondeur. Cette allée me donna une impression de bonheur et de grandeur. Je regardai le chemin parcouru, et je repris d'un pas nonchalant. Arrivée à ma rue elle m'apparut étroite, comme quand je revenais des plages du Prado. Mon cœur se pinçait alors, car nous arrivions chaque fois à la nuit.


Comme dans un spectacle je me suis sentie vide. Le monde devenait spectacle, le réel m'échappait ; d'habitude je regardais les bateaux de pêche et les voiliers se croiser. Les voiliers qui baissaient leurs voiles pour rentrer dans le port. Pendant un long moment je regardais. C'était agréable de voir manier les voiles ; une personne suffisait. Ainsi passa l'après-midi.


Petit port de pêche aux couleurs vives, le soleil de printemps. Brise de mer dans le port du vallon des Auffes. Chat noir du bar qui saute sur les genoux de Jean-Pierre. Je prends une photo. Café allongé, verre d'eau. J'aimerais y retourner des après-midi, y prendre le doux soleil d'automne, sentir la mer, y lire.


Le temps attrape au vol une pensée. Un temps calme après l'orage. Nerfs défaits. Puis le temps qui respire à son rythme, comme dans ma cuisine tranquille. Café posé là tout près, déjà bu, posé sur l'étagère la boîte de thé. Froid dans le dos, comme si un fantôme faisait du courant d'air.


Cette nuit-là, l'eau frappe le volet, ruisselle vite. Porte ouverte, cliquetis comme des pièces dans un porte-monnaie, l'eau s'éparpille. Odeur de terre sur le goudron que le vent sèchera. La ville, Artémis veille, tout le monde dort, moi je baille.






 

© automne 2011, Francine Laugier
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