Site de Francine Laugier

Ce soir, les heures tournent vite,
ma pensée aussi



Je n'ai pas été brisée, tout au plus cela m'a rendu nostalgique et friande de belles choses, comme la lampe solaire qui tombe dans la mer, les signes sur le papier que je suis, le partage des corvées, l'amour qui a le temps de se laisser apprivoiser, qui sait caresser. Mais d'abord affermir ses forces. La joie enfin, comme Lao Tseu, de naître adulte, de partager ce qu'il y a de transmissible par le travail chaque jour remis sur la table, pour approfondir sa connaissance et son plaisir


La parole bouge, je comprends, comme après un silence bavard. Tout en suivant chaque péripétie, le métier sort de moi limpide et profond, avec la certitude de l'amour. Le silence du mystère parle en moi, témoigne de mon vif tempérament. Elle trouva qu'il manquait des couleurs dans mon écrit, aujourd'hui l'arc-en-ciel est là, quand coulent enfin les mots, comme les perles d'une rivière, translucides et opaques.


La parole dans le rêve qui donne « des coups de bâtons » à qui gène ses coups d'aile. Mon âme s'affranchit de ce qui la blesse, peu à peu redevient autonome. Elle renoue avec ceux qu'elle aime et ce qu'elle aime faire. Bien sûr rien n'est pourléché, même pas le cristal qui a une structure imparfaite ; et puis tout bouge, tout est en vie. Nous devons sans arrêt nous adapter en prenant soin de nous.


Je retrouve janvier avec la vigueur d'un printemps et la douceur d'un automne. J'aimerais me demander plus, encore plus, il le faut ! Mais j'ai tellement sommeil, tellement besoin de rester au chaud. Pourtant il le faut, je vais me demander plus, chaque jour un peu plus, jusqu'à ce que j'arrive à la maîtrise de ce que je me suis donné à faire, à la maîtrise de mon art. Pour cela j'ai bravé le sommeil et le froid.


Boire un peu d'eau pour marquer le silence, prospérer dans le manque, aller après le temps du lavage, pendant que le jour se lève, pour boire un café chaud. Presque tous les livres intéressants que je lis finissent en queue de poisson : quand on veut conclure et que se glisse un « et alors ! ». Un « et alors », qui n'altère pas la dure pureté de ce qui a été dit avant. Laisser en suspens, le lecteur attentionné dans l'instant où il lit, voit, se sent en communion, conçoit des pensées.


Mon travail consiste à dire en décalage ce que les autres pensent ou disent. Tout simplement être un pas de côté, comme les edelweiss veloutés parsèment la roche, envoûtant les grimpeurs. Pour que le changement soit valable, il ne faut pas tout changer d'un coup : changer les grandes lignes, mais garder une part de quotidien. Qu'est-ce encore à dire aujourd'hui ? Sinon la ville, belle, comme on dit à portée de main : grande et petite à la fois.


Tu parles, langue ? Infini du dire, tu es vivante, là, sous ma plume : tes arrangements sont de l'ordre des mathématiques. Tu parles, ma langue, et tout correspond : infini de la mémoire, infini de l'association. Devant tes rébus, prenant mon éthique avec calme, tu deviens courageuse et intelligente. Langue maternelle tu me reviens avec si peu de souvenirs qu'aujourd'hui mes verres ont besoin de décrypter mes manuscrits. Se prendre au sérieux juste ce qu'il faut pour le travail de l'œuvre.


Je n'ai pas fermé l'œil pour que les ombres de la nuit ne me suivent plus. Pour dormir debout dans le jour. Pour me faire plaindre, pour dire combien cela me coûte, d'avoir attendu une nuit mon rendez-vous que je ne veux manquer. Mais je peux tout aussi bien le prendre à la légère, en chemin m'acheter un croissant, prendre au mot votre heure, m'organiser autour d'elle.


Les rêves ne m'ont pas trahie, ils me guident encore dans ce fond glacial qu'est la réalité. Ne pas trahir le tremblement de mes cordes vocales, pourtant ce froid que j'ai tant appelé de mes vœux, ne me déçoit pas, tant que parle encore ce qui fait que le temps est perdu dans le temps. Ce froid pourtant qui me ramène à l'animal, mes rêves ne me déçoivent pourtant pas, ils me parlent d'alphabets oniriques, ils me parlent d'un marin qui avait perdu sa vie de ne pas entendre ce qui le reliait sans détour à sa foi.


J'en appelle encore au froid, au réveil, à la solitude ; assise les deux pieds nus par terre, n'être presque qu'un corps. Un corps en santé pourtant, mais qui est trop lourd comme quand l'amour s'est retiré. Un corps solitaire, mais où la souffrance est acceptée avec plus de facilité que quand c'est l'esprit qui le quitte. Un corps de déception comme on le rencontre parfois dans la crudité de l'amour, après les frissons : je ne suis que cela, que ce corps là. Le corps solitaire, comme quand l'amour fut trop satisfaisant.


Arène personnelle ou se mène un conflit rude et exigeant. Je pleurerais volontiers, mais je suis seule au combat, avec le temps que je compte. C'est pour moi cette lutte, je prends la balle au bond, pour me donner du temps enfin !


Serait-il aussi montré et caché que le trésor des pirates, ce chant des dockers et des matelots ? La voix est la même : sourde, ombragée. Cette voix n'est pas désenchantée, deviendrait-elle plus critique ? Le bercement des vagues n'y peut plus rien, elle tonne maintenant, pendant que la cloche de Notre-Dame de la Garde sonne l'appel à la messe. J'ai trouvé ma langue pauvre, pour dire combien les mouettes savent mieux garder le terrain qu'eux. Et cette langue qui parle seule, où la grammaire reste évasive, pour qu'enfin j'avance encore sur la crête de la vague, à proximité des lourds bateaux.


Je ne comprends encore plus rien. Le mystère se referme sur une réalité froide et sans fantaisie. Peut-être va-t-il encore s'ouvrir comme ta boîte à tabac, avec ses fioles de parfums et sa nicotine. L'esprit est ma drogue, mon âme sait le traduire pour qu'il fusionne avec mon corps, pour que je sois l'unique parmi les uniques. Je ne me lasserai jamais devant la promesse tenue, mais qu'il est long le temps du doute, où l'on s'accroche à sa seule certitude : que le jour qui naît est encore pour soi.



Francine Laugier. Janvier 2012







 

© hiver 2012, Francine Laugier
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