Ce soir, les heures tournent vite, ma pensée aussi
Je
n'ai pas été brisée, tout au plus cela m'a rendu nostalgique et
friande de belles choses, comme la lampe solaire qui tombe dans la
mer, les signes sur le papier que je suis, le partage des corvées,
l'amour qui a le temps de se laisser apprivoiser, qui sait caresser.
Mais d'abord affermir ses forces. La joie enfin, comme Lao Tseu, de
naître adulte, de partager ce qu'il y a de transmissible par le
travail chaque jour remis sur la table, pour approfondir sa
connaissance et son plaisir
La
parole bouge, je comprends, comme après un silence bavard. Tout en
suivant chaque péripétie, le métier sort de moi limpide et
profond, avec la certitude de l'amour. Le silence du mystère parle
en moi, témoigne de mon vif tempérament. Elle trouva qu'il manquait
des couleurs dans mon écrit, aujourd'hui l'arc-en-ciel est là,
quand coulent enfin les mots, comme les perles d'une rivière,
translucides et opaques.
La
parole dans le rêve qui donne « des coups de bâtons » à
qui gène ses coups d'aile. Mon âme s'affranchit de ce qui la
blesse, peu à peu redevient autonome. Elle renoue avec ceux qu'elle
aime et ce qu'elle aime faire. Bien sûr rien n'est pourléché, même
pas le cristal qui a une structure imparfaite ; et puis tout
bouge, tout est en vie. Nous devons sans arrêt nous adapter en
prenant soin de nous.
Je
retrouve janvier avec la vigueur d'un printemps et la douceur d'un
automne. J'aimerais me demander plus, encore plus, il le faut !
Mais j'ai tellement sommeil, tellement besoin de rester au chaud.
Pourtant il le faut, je vais me demander plus, chaque jour un peu
plus, jusqu'à ce que j'arrive à la maîtrise de ce que je me suis
donné à faire, à la maîtrise de mon art. Pour cela j'ai bravé le
sommeil et le froid.
Boire
un peu d'eau pour marquer le silence, prospérer dans le manque,
aller après le temps du lavage, pendant que le jour se lève, pour
boire un café chaud. Presque tous les livres intéressants que je
lis finissent en queue de poisson : quand on veut conclure et
que se glisse un « et alors ! ». Un « et
alors », qui n'altère pas la dure pureté de ce qui a été
dit avant. Laisser en suspens, le lecteur attentionné dans l'instant
où il lit, voit, se sent en communion, conçoit des pensées.
Mon
travail consiste à dire en décalage ce que les autres pensent ou
disent. Tout simplement être un pas de côté, comme les edelweiss
veloutés parsèment la roche, envoûtant les grimpeurs. Pour que le
changement soit valable, il ne faut pas tout changer d'un coup :
changer les grandes lignes, mais garder une part de quotidien.
Qu'est-ce encore à dire aujourd'hui ? Sinon la ville, belle,
comme on dit à portée de main : grande et petite à la fois.
Tu
parles, langue ? Infini du dire, tu es vivante, là, sous ma
plume : tes arrangements sont de l'ordre des mathématiques. Tu
parles, ma langue, et tout correspond : infini de la mémoire,
infini de l'association. Devant tes rébus, prenant mon éthique avec
calme, tu deviens courageuse et intelligente. Langue maternelle tu me
reviens avec si peu de souvenirs qu'aujourd'hui mes verres ont besoin
de décrypter mes manuscrits. Se prendre au sérieux juste ce qu'il
faut pour le travail de l'œuvre.
Je
n'ai pas fermé l'œil pour que les ombres de la nuit ne me suivent
plus. Pour dormir debout dans le jour. Pour me faire plaindre, pour
dire combien cela me coûte, d'avoir attendu une nuit mon rendez-vous
que je ne veux manquer. Mais je peux tout aussi bien le prendre à la
légère, en chemin m'acheter un croissant, prendre au mot votre
heure, m'organiser autour d'elle.
Les
rêves ne m'ont pas trahie, ils me guident encore dans ce fond
glacial qu'est la réalité. Ne pas trahir le tremblement de mes
cordes vocales, pourtant ce froid que j'ai tant appelé de mes vœux,
ne me déçoit pas, tant que parle encore ce qui fait que le temps
est perdu dans le temps. Ce froid pourtant qui me ramène à
l'animal, mes rêves ne me déçoivent pourtant pas, ils me parlent
d'alphabets oniriques, ils me parlent d'un marin qui avait perdu sa
vie de ne pas entendre ce qui le reliait sans détour à sa foi.
J'en
appelle encore au froid, au réveil, à la solitude ; assise les
deux pieds nus par terre, n'être presque qu'un corps. Un corps en
santé pourtant, mais qui est trop lourd comme quand l'amour s'est
retiré. Un corps solitaire, mais où la souffrance est acceptée
avec plus de facilité que quand c'est l'esprit qui le quitte. Un
corps de déception comme on le rencontre parfois dans la crudité de
l'amour, après les frissons : je ne suis que cela, que ce corps
là. Le corps solitaire, comme quand l'amour fut trop satisfaisant.
Arène
personnelle ou se mène un conflit rude et exigeant. Je pleurerais
volontiers, mais je suis seule au combat, avec le temps que je
compte. C'est pour moi cette lutte, je prends la balle au bond, pour
me donner du temps enfin !
Serait-il
aussi montré et caché que le trésor des pirates, ce chant des
dockers et des matelots ? La voix est la même : sourde,
ombragée. Cette voix n'est pas désenchantée, deviendrait-elle plus
critique ? Le bercement des vagues n'y peut plus rien, elle
tonne maintenant, pendant que la cloche de Notre-Dame de la Garde
sonne l'appel à la messe. J'ai trouvé ma langue pauvre, pour dire
combien les mouettes savent mieux garder le terrain qu'eux. Et cette
langue qui parle seule, où la grammaire reste évasive, pour
qu'enfin j'avance encore sur la crête de la vague, à proximité des
lourds bateaux.
Je
ne comprends encore plus rien. Le mystère se referme sur une réalité
froide et sans fantaisie. Peut-être va-t-il encore s'ouvrir comme ta
boîte à tabac, avec ses fioles de parfums et sa nicotine. L'esprit
est ma drogue, mon âme sait le traduire pour qu'il fusionne avec mon
corps, pour que je sois l'unique parmi les uniques. Je ne me lasserai
jamais devant la promesse tenue, mais qu'il est long le temps du
doute, où l'on s'accroche à sa seule certitude : que le jour
qui naît est encore pour soi.
Francine
Laugier. Janvier 2012
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