Site de Francine Laugier

IMPRESSIONS DU MOIS DE MAI



Goût fruité, bouche ronde, je bois du vin frais. Mon nez coule, des arbres, déjà le pollen. Bouche édentée, bouche de sorcière, pourtant curieux sourire. Sortir de la lourdeur de l'hiver, comme un ours, manger du miel.

Elle ne peut plus me recevoir, elle est malade, c'est dingue la vie. Sans dialogue, sans émotion, comme passent ces journées. La vie s'acharne, elle est plus têtue que moi, pour ce qui est de la voie. Je ne m'entendais plus, je perdais mes gestes de travail, insatisfaite.


Je me sens tellement peu que je dois vivre ailleurs, je dois vivre dans la lune. Mon corps est bien là, j'en ai conscience, il pèse son poids, mais il est comme vide. Quant à ma pensée, elle est complètement absente. Par moment je me dis « mais où étais-je depuis toutes ces heures ? ». Et je ne sais où. J'avais remarqué que je m'absentais souvent devant les autres, mais de là, absente à moi-même ! C'est comme un évanouissement, je suis absente.


Et je ne vais plus me bercer de solitude. Je vais laisser tisser les fils du temps, jusqu'à ma belle amitié. La belle, celle où l'on dit sœur, celle qui invente le mélange des sangs. À la vie à la mort. La belle amitié, le temps va me sourire, enfin !

Je suis fidèle tu sais. Je me souviens de tes mots d'amour dans la tempête. Et tant pis s'ils sont dits comme cela, sans grande pensée, juste dans la fraîcheur du matin.


Depuis que je m'inquiète de l'heure et de mon insomnie, le réveil s'est mis à faire plus de bruit. Le tac, du tic-tac paraît plus appuyé. J'écoute, je m'en plains dans le vide. « Jamais je n'arriverai à me calmer avec ce réveil qui retentit dans mes oreilles. Jamais je n'arriverai à m'endormir ». Comme par enchantement le son se fait tout à coup plus doux. Je me détends, et je l'oublie ce réveil ; je mange du chocolat il est quatre heures et demi.


« Sortir ? Je n'ai pas envie. Il fait froid, et puis j'ai sommeil ». « Et si j'allais promener ? ». Me voici à la porte, veste sur le dos. Ce que peut le verbe !

Je ferai ce que je dois faire, et puis je verrai bien. Après bien du souci, me voilà au-delà du souci. Pourtant je veille. Je veille pour suivre ma voix, dans le silence de la nuit, elle est plus claire. Roule alors la terre et la lune, et les étoiles brillent comme des lucioles un soir d'été. Tout roule, je ne ressens pas la peur du vagabond, que l'étrange surgisse, oui, j'ai peur que l'étrange surgisse ; mais quand il reste extérieur il est doux et compréhensif, comme une grande sœur rassurante que je tiens à remercier. Mes cheveux sont blancs, et si je tiens au-delà du souci, ils y sont pour une grande part. Parfois je ris, j'éclate de rire de voir les petits soucis, cela me change les idées, mon recul éclate alors comme de grosses bulles de savon. Dans les bulles de savon je vois l'arc-en-ciel, et l'arc-en-ciel je le vois dans un bout de ciel, et un bout de ciel c'est toujours un coin bleu où je peux me réfugier, et me consoler des misères que le monde me fait.


Comme pour fixer le texte à la page, j'aime les chevilles dans un écrit. J'en use pour que l'action soit insistante, j'en abuse pour que les choses se mêlent et s'emmêlent comme des boules sur une guirlande ou sur un collier.

Et le temps passe, il passe vite, mais parfois une minute met vraiment une minute. Je ne sais que désirer : qu'il passe vite ou qu'il mette son temps. Comme je n'ai pas sommeil, et qu'en plus j'ai bu du café, je ne peux pas me dire « je vais au lit ». Je ne peux donc oublier le temps qui passe. S'il passe vite, je chercherai dans toute ma matinée le sommeil. Pourvu qu'il passe lentement ! La nuit, cela ne fait rien si l'on ne fait rien. La nuit, la moindre action peut durer des heures, alors le petit matin arrive vite. Et voilà, déjà six heures !


Quand l'âme est fatiguée, ça fatigue les muscles. Il faut dormir beaucoup. Mais la plupart du temps les problèmes travaillent tellement en nous qu'ils nous réveillent. Alors nous prenons de la drogue sous ordonnance.


Je me sens désolée, dans le double sens du terme. Sable, bouche sèche, des mots secs en sont sortis indemnes. Soigner ma pensée, en prendre soin comme d'un chant sorti de la juvénile chance que l'on rencontre encore parfois avec ceux qui avancent poing vers le ciel pour attrister le sort mauvais. Chance, chance d'avancer à tes côtés, et toujours cette langue universelle qui a du mal à sortir. J'ai appris à connaître ma part d'ombre, ah, ma pure adolescence, si loin de moi quand la vie m'abandonne.


Obsession rouge, j'occupe ma bouche pour m'en débarrasser de cette bête à la peau dure. La peine est la même, comme autrefois, je m'en souviens. Peut-être d'autres armes s'offrent à moi : l'expérience de mettre bout à bout les quatre bouts de chandelle, celle aussi de se dire « les dés sont jetés ». Quel synonyme trouver à « vie » ? Souffle, lumière. Et à nouveau tout est calme.


Demain je remange de l'amour. Me vautrer dans le bien être. Si ce n'était ma glace, qui me renvoie mon image, je me sens adolescente. Et voilà qu'il est là près de moi, j'avale son sourire, sa parole. Il est là tout près, et je glisse ma tête dans son cou. Nous sommes enlacés, sa barbe me chatouille un peu, ses mots d'esprit sont un délice. Je frissonne de plaisir et sur sa chemise fine, entrouverte sur son fort buste, je vois le printemps refleurir. Il est là, des années n'ont pas détruit mon étonnement de le découvrir tout près.


Dans la nuit vers toi, une pensée... Ton calme si apaisant, je voulais t'en remercier. Ton sang froid a fait fuir nos soucis. Écoute-moi dans la nuit, ma parole a valeur d'oracle, j'aperçois le bouillonnement de la survie. Tes bras m'ont encerclée, quand j'avais froid, ce mois de mai. Rien ne peut effacer ta ferme attitude, je me veux consolante à mon tour, affronter la perfide amertume qui parfois se glisse à nos côtés.


L'avenir n'est pas dessiné, j'en suis à la défaillance. Ce mur, toujours ce mur, l'impuissance du mur d'en face ; y coller une affiche, mais comme un poids que je soulève, je manque d'espoir. Il faudrait un « nous », que ce « nous » ait profondeur de la quête.


Francine Laugier, mai 2012







 

© mai 2012, Francine Laugier
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