Site de Francine Laugier

Mots en costume de vent

 

 

 

 

 

Quel drôle de regard a la jeune buraliste. Ni ensommeillé, ni éveillé. Pourtant si vif ! C'est comme son sourire : ni large, ni fermé. Un sourire d'Hermès.

 

Le réel n'est pas mou, la matière est molle.

Le jeu d'échecs est un jeu si petit pour l'infinité des coups possibles.

 

Je ne suis pas au fond du puits, mais disons que je nage dans le puits.

 

Il déclenche la bagarre comme une fille ferait un caprice.

 

Que dirait Savonarole des planches à voile effilées et de la baie vitrée ? Mais des nappes sur la table, il ne dirait rien, car le repas prend juste goût au palais.

 

Le même visage peint tant de fois, jusqu'à ce qu'un autre soit tracé, l'air de la jeune vierge tellement plus sérieux. La Renaissance dans la Renaissance, bouge. Le peintre comme Botticelli a écouté les sermons de Savonarole.

 

Je suis sévère et relâchée. Je ne sais pas commander un chien, j'adore avoir des plumes d'avance.

 

Au bar, on se garde le journal, on se parle avec le sourire du matin. Déjà juillet. Pas de vacances pour les quelques habitués.

 

Quand un chien aboie la nuit en pleine campagne, cela calme. Quand un chien aboie en pleine nuit dans une ville, cela énerve.

 

La parole est humaine, Dieu ne parle pas.

 

Toutes mes chaises se mettent à casser. Alors celles qui me restent deviennent des objets précieux — momentanément, car je ne peux toujours en racheter des neuves.

 

J'ai senti une sortie de ma condition de jeune villageoise. Il a suffi que l'amie passe la porte pour que le monde s'agrandisse. Que ce souvenir revienne, c'est l'un des plus beaux.

 

Le gruyère avait la sueur des pleurs de vaches, et cela me dégoûtait.

 

C'est peut-être cela être adulte : aller vers la vie, plutôt qu'elle ne vienne à nous.

 

Nadja, j'affirme que tu étais aussi poète qu'André Breton. Je t'imagine fuyant ce que tu n'aimais pas, vêtue en jeune homme. C'est bien toi Nadja, celle qui pèse le chat.

Toi qui ne fus qu'un prénom, Breton t'habillas du Surréalisme.

Tes livres nous manquent, toi qui ne fus pas innocence, toi qui avais l'âme aguerrie, vivace comme un lièvre.

Ton insomnie dans la ville de Paris, et tes pieds qui souffrent. Pas la peine de le dire à Breton. Pourtant tu avais bien les pieds sur terre pour butiner ce qu'il disait. Non Nadja, tu ne t'es pas trompée, c'est toi qui a choisi le Surréalisme, et il t'a abandonnée à ta solitude.

 

Je laissais aller mon esprit, je tombais. Et, dans un sursaut, j'ai eu peur de tomber dans le sommeil. Comme si une mort m'attendait à ce moment-là. Une fois calmée, je continuais à laisser aller mon esprit. Avec moins de tombée dans les images. Et j'aurais bien aimé plonger dans le sommeil. Je n'y arrivais plus. C'était un moment de passé. Je me retrouvais trop proche de l'éveil. Alors je décidais d'écouter la radio.

 

Les vases transcendants sont mieux que les vases communiquants.

 

Il y a de cela longtemps, c'était la nuit, j'étais couchée. Vint une impression d'être une lampe qui s'éteignait petit à petit. J'allais à la mort. Aussi vite qu'un éclair, je dis dans ma tête : « J'aime jean-Pierre. Je ne veux pas mourir. » Je sentis mes forces qui se mettaient à réhabiter mon corps. Je me suis rallumée tout doucement, sans énervement ni brusquerie.

 

« Dites ce que vous voulez » me dit un visage. « Ça m'est égal » répond l'autre visage. « Si je pouvais mourir » dit le visage d'un vieillard. Ce n'est pas une hallucination, les visages me parlent. Quand vont-ils se taire ? Ne plus regarder personne. Mais à la terrasse d'un bar, en train de boire un verre de vin rouge, que faire d'autre que regarder les passants ? À la télé aussi ils me parlent, quelquefois tout en tenant une autre discussion. Mais vont-ils se taire ces humains ? Voilà que les animaux s'y mettent aussi.

Mistral aujourd'hui sur Marseille. Je n'ai pensé qu'à dormir.

 

Ce qui est nouveau, c'est que ne rien faire ne m'apparaît plus normal. Et j'étire quand même le temps à boire café sur café, à fumer cigarette sur cigarette. Que d'efforts pour vivre. Même au ralenti. Suis-je normale ? Est-ce que pour les autres aussi la paresse domine ? Mais plutôt : je n'arrive pas à être heureuse à vivre comme je vis. Y a-t-il une autre sortie ? Le drame est peut-être dans toute vie. Le drame est dans toute vie, c'est pour cela qu'il n'y a pas d'issue. Que faire ? Peut-être rien. Oui mais on s'ennuie. La guerre ? Les hommes trouvent cette solution. Mais les femmes, qu'en pensent-elles du drame de la vie ? Subir. De toute façon, on n'a pas le choix. Quelle chienne de vie ! Apprendre pour transmettre. La vie se complique et nous ne sommes pas plus heureux qu'avant les Magdaléniens. Nous sommes engagés. S'arrêter un moment pour réfléchir. Quelle merde va-t-on encore inventer ? Décidément ! Et si les femmes arrêtaient de se reproduire pour réfléchir.

 

Ce rêve où je retrouvais mon amie d'enfance disait combien on peut être séparés par la vie, et par le manque d'humour aussi.

 

Être turbulente dans son écriture. Agiter les mots. Je me sens troublante, sauvage, comme avant les deux point d'où va surgir l'explication. Que veux-tu toi ? Eh, toi là, que veux-tu ? Ajuste tes mots, et dis-moi ce que tu cherches à trouver quand ta tête balance de droite à gauche. — Je tente désespérément de m'éveiller. Bien sûr je suis déjà contente quand mon cauchemar cesse. Même si je dors encore debout, bien que je sois plus souvent assise. J'ai déjà été témoin de l'éveil de la nature, de l'éveil du jour qui pénétrait petit à petit dans la chambre. Mais moi je reste inévitablement assoupie. J'ai parfois des sursauts dans mon corps rien que d'y penser. J'ai peine à m'éveiller, je peine à dormir. Bien sûr, comme tout le monde, j'ai essayé de penser le début, j'ai envisagé le futur. Mon présent restait délavé de ne pouvoir atteindre aucune évidence. Nulle assurance dans ma pensée : rien que ce présent où je somnole, désabusée.

 

Tu ne m'as fait aucune promesse, toi, le passeur éveillé de ma folie. Ma curiosité déployée, tu ne m'as promis aucune tendresse. Ce fut un bouleversement révolu. Je le sus dès l'instant où le drap fut souillé. Et si de ce temps là, je garde la désinvolture, c'est parce que j'ai oublié le fantôme de ton amour, j'en ai bu mille fois l'âpreté.

 

Je ne sors pas seule dans la rue. Je sors avec moi et moi : moi féminin et moi masculin. Quelquefois je suis un peu apprêtée, car l'un des côtés prend trop le dessus. Alors l'harmonie est rompue, je me sens gauche.

Au début, je pensais que c'était la peur qui m'avait rendue comme ça. Car être deux m'est arrivé un peu après. Mais c'est par pur plaisir, je le sais.

 

Les feuilles de platane tombent, octobre, je mets une laine.

 

 



©: Octobre 2005, Francine Laugier
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