Francine Laugier - Plis et replis

Plis et replis

En sa compagnie j'oublie mon corps, je suis pur esprit. Tu ne peux savoir combien ça calme et combien les mots sortent plus librement, combien la communion avec l'autre est céleste. C'est drôle, je ne le connais presque pas et je dis cela, c'est de cette façon que je te le décris.


Je n'ai pas pu, de mes deux mains, saisir le temps. Il a coulé entre mes doigts comme un voleur de qui je serais aux trousses. Je flotte, séparée des autres, je cours après le temps. Souvent, je le laisse passer sans bouger, mais alors, même l'instant me devient étranger. Et quand tout est étranger, je deviens étrangère aussi. Et ça fait mal d'être étrangère à sa vie.


Je flotte au-dessus du plancher, sans être dans les nuages pourtant. Ni dans, ni hors rêveries, et comme ça dans ma tête, je me dis qu'il me semble que le temps depuis que je l'ai connu, est plus long que je ne le pensais. Cette sensation me laisse rieuse, car les tours que me joue le temps ne m'agacent plus.

Il est parti avec les longues heures, pleines de soleil, pleines des senteurs de pin qui se dégagent dans la colline. Mon après-midi s'étire, a épuisé les heures lentes de la sieste. Je m'éveille, heureuse, comme si commençait un jour nouveau, mais ne dure qu'un court instant ce bonheur de magicienne, l'attente à nouveau me ronge. Je me ronge d'attendre. Une lame de fond tient bon, enfouie en moi, elle balaie l'amertume.


Un petit diable m'a fait découvrir la cachette. La cachette à alcool. Je bois en riant.


Chère, mon cœur se console au vent iodé, son murmure me donne le recul nécessaire pour œuvrer, pour aller de la sensation au sens. Comme la vie marque de son sceau les anciennes chimères, quand le temps si irrégulier a donné à notre chevelure la blancheur du lait. Pour moi, un passé reste dans le souvenir. Parmi les jeux d'illusions, il m'est arrivé de dire : « la vie est belle », oubliant les maux, qui m'ont plongée si souvent dans la misère. Mais comment renier la vie, alors que l'île offre fruits exotiques et coquillages.


Qu'est ce qui me tient figée à ma table ? Après des heures de souffrances physiques, je reprends courage. Qu'est-ce qui m'attire hors de moi et des autres ? Je me meurs. Je réagis toujours trop tard. Ma faiblesse de volonté, m'empêche d'agir. Et voici que je me mets à souffrir encore. La feuille humide sur la pomme, c'est l'automne. J'en parle à peine maintenant, alors que cela fait des jours… En attendant elle a jaunie la pomme, elle est plus tendre à croquer.


Demain déjà vendredi ! Pourtant encore un jour « à la con », sans écriture, avec son lot d'absences, d'attentes, d'encouragements… Vaincre me laissant dans un pessimisme froid. Attendrie, je vois les blessures de l'âge, sans plus rien comprendre à ce que je pensais pouvoir expliquer. Ne pas trahir le vivant, avancer sans l'abandonner.


Mon corps parle, il hurle ma terreur.

Et toi, quand je me perds, tu me fais parler de mon chemin.

Tes questions quand je m'y attends le moins, me surprennent parfois. Me surprennent parfois mes réponses.

Le paroxysme de la souffrance s'oublie. Restent les gestes qui énervent, parce qu'ils lancent.

Vieille-jeune, mon corps demande sagesse, alors que moi jeune-vieille je réclame la force et l'endurance.


Lentement le temps passe, dans la fraîcheur du petit matin, frôle mon éveil. Frôle aussi mon envie d'arrêter le temps, l'envie de mourir, mais très vite la peur d'arrêter le jeu me ramène à ma vie. Vis, console-toi, console ton présent.


Un buisson d'épines a poussé dans ma ville. Avant, les églantiers parfumaient mon cœur, avant je ne voyais que les fleurs. Lointaine promesse, âme alourdie, ville ogresse. Ville qui joue la même familiarité au passant d'un soir, ou d'une vie. Ville fantôme, qui a fui la réalité de ses avant-gardes. Ville sans couleur, perdue dans le monde.


Bleu marine, boules d'algues, les incessantes vaguelettes. Les cheveux frappent le visage, le soleil frappe aussi, réchauffe trop dans les vêtements d'automne. Incessantes vagues… J'aimerais te repousser au loin avec tes oursins, mer, rester sur le sable, parmi les algues, les coquillages et les roches blanches.


Je suis de nulle part, même pas de ce cabanon d'où j'écris. Mon esprit est ailleurs, je ne sais où. Quand tristement je m'assoupis, quand la lumière du jour ne frappe plus mes yeux, quand je me mets au lit comme d'autres à l'ouvrage, je suis en-deçà la vie et la mort. Je me combats aussi bassement que le ferait un ennemi.


Séjourner dans un temps en pleur, l'espace qui scande mon rejet : j'ai le cœur gros. C'est dur, c'est dur cet espace hostile. Séjourner dans cette fin d'automne contre les ombres, avec mon cœur gros. J'ouvre le livre, frère errant qui témoigne encore de l'histoire, des plis de l'âme et du temps.


Francine Laugier, automne 2012



© Francine Laugier, automne 2012.
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