Site de Francine Laugier

Pourquoi douter de la vie ?


Papier de souvenir, papier qui garde le souvenir d'une recherche si longue et éperdue. Papier trouvé, épine qui pique : tant d'oublis. Livre qui s'ouvre sur une page blanche, non signé ; mots maladroits comme pour parler seulement. Silence, comme nous disons silence aux maux qui minent l'outil, comme l'ouvrier nous en prenons soin. Commander la machine comme enfant je le voulais.


Vent fort qui me porte, légère. Larges boulevards, comme éphémère les passants. Quel destin me guide ? Vais-je trouver cet ultime sortie, comme cette gare vide ? Platon parlait à la jeunesse d'éternité, pourquoi veut-on nous voir vieillir si vite ? Que disent leurs mots incompréhensibles ? Au retour, comme portée. Silhouette d'un homme sur les rails du tramway vide. Déjà le Vieux-port, et ton sac se fait plus lourd ; est-ce la réponse tardive qui pèse comme un poids longtemps gardé ? Chez moi quelques pensées amères. La jeunesse sans nul doute s'est enfuie avant que nous ne puissions leurs apporter l'expérience si longtemps cachée.


Je suis comme le sommeil qui tarde à venir pour effacer les ennuis de ces jours. Musiques légères aux fenêtres, aveugle au temps qui passe, comme pinces de crabes pour voir une dernière fois mon ciel. Elles interpellent, je reste aveugle, je pense au linge à étendre. Rêver peut-être, disait le poète. Rêver est un luxe : tête droite, voyant le ciel. Œuvrer : travail et plaisir.


Depuis quand le lit profond de l'amertume au fond de ma bouche ? Est-ce pour cela que j'ai perdu la face ce soir devant le sommeil. Parcours étroits et répétitifs dans la ville, je laisse là la passion d'une cigarette. Je ne veux m'appuyer sur le regard voilé, et mon compagnon à mes côtés, rassurant, qui me ramènent à moi comme tombe toute l'éthique sur les paniers posés.


Indépendance et dépendance s'entrecroisent comme du blé trouvé qu'une jeune fille porterait dans sa chevelure. Âme et âme se répondant, libérées du joug du regard du sommeil. Alors peut-être la couleur, l'encre noire, le clavier, ma parole libérée.


Dans le présent je peux tout inventer. J'avance lentement, pourtant sans hésitation, stylo en main, je vais. Marcher dans Aix-en-Provence, visiter les fresques d'une église. Un prêtre fait serment ; si jeune et la famille qui accepte le départ en Afrique. Et nous nous trouvons comme dans un jeu de quille.


La multitude en non-harmonie encore, les savants disent que nous sommes de la poussière d'étoiles. Âme, esprit, corps, qui commande ? Le corps, le corps perçoit l'esprit. C'est un appel lancé comme une prière, qui atteindra sa cible. Je pourrai enfin ne plus avoir peur de la lumière. Elle regardait, je lui disais, entendait-elle ? Moi dans l'oubli, je parlais déjà de lumière, un ange passait. Elle se rappelle et me donna la main dans ma peur bleue, et Jean-Pierre où était-il ?


Elle était revenue à Marseille, elle a été discrète, m'aidant dans ma dignité de femme. Elle était revenue un jour, et puis la maladie l'a prise. Belle-sœur j'aimerais te revoir. Comme héritage ton stylo avec lequel j'ai écrit mon journal. L'encre a séché comme une fleur fanée. Comme ta parole qui disait paix, paix, ce soir comme toi je dis Paix.


Cet instant où ne repose aucune incertitude de ce que sera l'éternité, où signature se pose comme le juste milieu entre la jeunesse et la mort. Mes mains comme des éventails, font onduler mon corps. Et l'œuvre jusqu'à la fin, jusqu'à ce qu'expire l'âge des trois points.


Le temps aussi est aux abois : la tour penche ainsi que ma maison. Je devrais aller y promener avec Rosy mais nous sommes allées à l'entrée du port. Aller voir l'automne et ses feuilles rouge-vif, nos accents mêlés. Mes ongles en deuil, et la nuit qui te prenait. Tu as imaginé ma voix, j'attends la tienne enracinée dans l'amitié.


Comme la mer, le temps se retire quand tu fumes une cigarette, laissant coquillages et vers. Tu aimerais sans cesse le renouveau de la plage, comme après la pluie où de petites flaques miroitent la soif. Comme pour reprendre souffle les coquillages, battement de la mer. La fumée du bout de la gorge, tout bat, tout vibre, tout fait geste.


Besoin de silence, est-ce que son stylo s'est tu ? Comme quand je finis d'écrire mon journal ? Cadeau d'anniversaire et moi qui voulais celui en or, le même que celui de l'homme, en épis de maïs. Mais pourquoi ce silence dès que je n'écris plus mon journal ? J'aime tant bavarder lui avais-je écrit, mais je ne lui ai envoyé qu'un poème squelettique, qu'ils ont retrouvé. Son stylo s'est tu, elle a pris des photos : les images aussi parlent quand prises au hasard nous nous étonnons. Qui a craqué en premier ? Le stylo s'est tu bien avant. L'infirmière qui ne venait pas, vous avez retrouvé du vomi qui menait jusqu'à son lit. Le cercueil sans croix, tu as brûlé avec ton secret. Ton stylo s'est tu bien avant, mais les photos ont parlé pour toi ?


Comme le temps témoigne, laissant là histoire, comme déprime. Ne vois pas la victoire des mouettes comme une fin en soi, maintenant que le centre de la terre parle, tu parles aussi. Déprime, ce qui te fait taire participe de ce qui fait ta force, vie, vie. Toujours les mouettes te le rappellent. Déprime, tu déprimes, et pourtant là, si près, le temps s'allonge t'offrant la joie de gagner.


Mes textes lus, richesse et fierté, comme bouteille à la mer, que vague retourne. Et si musique il y a, alors l'intuition, celle qui si rarement convient, comme coquillages chantent à mes oreilles. Abstraction faite, entendre la mer petite fille, magie d'un marin, qui portait bonheur aux jeunes filles. C'est comme les étoiles, une à une vues et séparées, merveilleuse neige, nous ne remercierons jamais assez notre mère qui dans la tourmente d'un hiver balaie la neige.


Comme c'est long cette heure suspendue comme le chat de Nadja portait des poids. Comme si le temps faisait silence. Énervement, et je comprends les nerfs qui s'agitent inutilement, comme une pendule bruyante d'attente. Rien faire demande un effort de chaque instant. Promesse tenue pourtant : je n'aime pas laisser l'entraide de côté. Trop longtemps j'ai ignoré l'échange.


Ce temps de grisaille, pourtant comme le caillou gris est beau. Posé là, sur la table, lisse et rond, il garde la beauté de l'eau. Où fut-il trouvé ? Dans le bord d'une haie ou sur la plage ? Seul il disait comme chacun pour soi. Et toujours la seconde remonte le temps, comme si elle voulait prendre une pause.


Mon âme est triste comme après avoir perdu sa plume, qui écrit gros comme un chagrin. Les carreaux sur la fenêtre renvoient un éclairage d'hiver, le soleil dans sa course l'a oublié. Comme à la lumière chaude d'une chaumière, bientôt l'anniversaire où à deux on sortira les cadeaux, j'espère encore un stylo-plume.


L'espace court après le temps comme moi je cours après les chiffres. Qu'est-ce que le chiffre sans la silice, la pierre mémoire ? Nous avons atteint la perfection, dans la mémoire du temps. Les bûchettes dont se sert un enfant pour mémoriser le calcul, autant de petites images ordonnées que sont pour nous le calcul mental.


Endormie dans ma coquille d'escargot, quand sortirai-je à nouveau pour voir la pluie ? Tête et corps ne font qu'un, de ying et de yang bottée. Quand j'ai vu l'intempérie, comme je sors mon corps, mais l'eau était trop chaude à mon goût, alors je suis vite rentrée.


Comme la voûte céleste, immense et en arc de cercle donne l'espoir un jour d'aller sur mars ; l'immense galaxie où se trouve la terre, reflète notre vie avec sa vitesse, ses trous noirs, ses vents peut-être, qui donnent des gestes à allure humaine. Qui sait peut-être les ratures du ciel marquent une harmonie. Déjà des satellites, déjà les premiers pas sur la lune, déjà des robots sur mars. Pourquoi douter de la vie ? La question n'est pas celle de l'accélération mais celle de la vitesse. Descartes a imaginé que nous pourrions vivre deux cents ans, les révolutionnaires pensent que tout peut-être réglé, mais cela n'empêche pas les maux et la mort.


J'oublierai, j'oublierai ce que je dois oublier pour vivre enfin ! Je n'oublierai pas le travail qu'il me faut pour œuvrer, ni le bonheur qu'il apporte. Je serai ouverte aux autres, tout en restant, comme une chatte tigrée, griffes rétractiles, douce et indépendante.



Francine Laugier

Automne 2011






 

© automne 2011, Francine Laugier
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