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Spectres

 

 

 

 

 

 

 

Elle donne sens aux signes, mais pas jusqu'au point de les suivre. De fait, elle se trouve dans la magie, loin de la prophétie.

 

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Une couronne plate, de bronze. Je me souviens surtout de cet objet surgi du passé. Et cela m'a fait penser à ton bureau, avec ses pierres, ses statuettes, ses insectes enfermés dans de la résine, ses briquets, ses porte-cigarettes, et parmi d'autres : l'objet plat en bois, qui servait à l'impression des tissus, où je pose mon cahier quand je te rends visite.

S'accrocher à l'objet, plutôt qu'être suspendue dans le vide, avec un poids aux pattes comme le dessin du chat de Nadja dans le livre d'André Breton.

Et la rivière souterraine que je cherchais, je la trouvai sous ma maison. Il y avait ses morts aussi, qui ne transmettaient aucune maladie, car l'air était pur dans la grotte. Puis le rêve continua m'amenant d'autres objets, moins esthétiques, des objets dont on se sert tous les jours, comme ceux qui se trouvent dans une salle de bain : porte-savon, porte-serviettes, broc à eau... Et je me disais quand même « il faut se contenter de ces objets, c'est déjà pas mal ».

Et là, ce n'était plus ton bureau. C'était un remord, mordant et blessant ma vie, m'enlevant la profondeur de la beauté.

 

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On dirait que tu sors toujours de l'eau, comme surgi des profondeurs. Il n'y a que ta tête qui émerge. Et tu fais perdu dans l'éveil. Ton corps robuste dort, ou plutôt se laisse glisser dans les remous. Ton corps roux sent l'algue et le sel. Ta tête burinée par le soleil, et tes yeux, ronds, comme ceux des poissons.

Comme au sortir de l'eau, tu m'es apparu ce jour-là. Je me sentais agréablement bien, nous parlions de Duras. Et toi, comme au sortir de l'eau, tu t'es insinué dans le groupe. Je n'étais pas contente, car j'étais bien sans toi. Ta présence, ta tête en éveil a cassé l'intimité de la discussion. Pourtant, je repense à toi, ce jour-là, avec tendresse.

 

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Ni heureuse, ni malheureuse, j'aimerais tressaillir de plaisir, quitter ce zéro qui ne vaut que quiétude. Ces instants où rien ne se passe, où je ne suis ni éveillée ni endormie, où pour briser ce néant, je me fais un thé. Alors la saveur fraîche de la menthe dans ma bouche, et la chaleur qui passe à mes doigts, posés autour de la tasse.

Un intérieur de maison n'offre pas le bonheur des rayons de soleil sur la peau, des odeurs de terre, de fleurs, de résine, du chant des oiseaux, du bruit ténu du vent dans les arbres, du fourmillement des insectes dans l'herbe, du jaune des papillons, des plantes grasses avec de petites fleurs violettes... Non, rien ne vaut cela. La mer non plus ne vaut pas un arbre, ni la mélodie d'un ruisseau. Rien ne vaut la bonne terre ; la terre fertile où poussent pommes-de-terre et salades, tendres comme du beurre.

Maintenant les deux anneaux d'or brillent dans la pénombre de la chambre. Le corps au repos, je songe qu'avec moi, les fantômes ont leur poids. Le fauteuil est lourd de vêtements. Avec constance, sous les étoiles, nous deux, doucement nous parlons.

 

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Mots, objets, danses ; j'ai toujours habillé ma vie. Et mon chant couvrait le drame. De paroles badines je composais mes poèmes. C'est aux rayons de soleil aussi, que j'offrais mon corps dénudé. Puis vint la nuit. Je ne me débattais pas : la nuit couvre tout. J'attendais que ça passe. Il faut que j'apprenne l'immense. Il faut que j'apprenne l'athéisme. Car sans transport je cherche la sortie.

 

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J'ai failli faire l'amour avec l'ombre. Ce n'est pas qu'elle me plaisait — elle avait des bras tentaculaires — mais j'avais tellement envie de faire l'amour. Puis cette part d'ombre m'est apparue trop obscure : j'ai dit non.

 

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J'aime le soleil d'hiver. Il ne pique pas la peau, il la caresse ; il ne la noircit pas, il la dore ; il ne brûle pas, il réchauffe ; il n'assomme pas, il réveille. Il a la fougue d'un premier flirt, il a l'attraction de l'école buissonnière.

Ses rendez-vous de début d'après-midi, ses lieux ouverts, sa rareté même, me font savourer des moments uniques, l'inhabituel de sa clarté.

 

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De l'arbre et de moi, nous ne faisons qu'un. De ses bras, il m'entoure. Il me caresse, je frissonne. Comme il est bon de jouir.

 

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J'étais le temps, je mangeais l'espace. Je détruisais en avançant, mais tout se recréait derrière moi. J'étais le temps et c'était si bon d'avancer, poumons pleins. Et rien ne disparaissait dans mon dos.

 

 

 

 

 

 

Francine Laugier

Janvier 2006






© janvier 2006, Francine Laugier
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