Site de Francine Laugier


Le vide du ciel

 

 

 

 

Hier, le jour a fermé mes ciseaux qui montaient un collage de nos instants. Le volet battant frappe au vent. Et je ferme le poing. Retombe dans l'instant, laisse descendre le crépuscule avec ce qu'il traîne d'éloignement et de perte.

Jouer au père Noël, dans un printemps d'avril.

J'aimerais brûler des anciennes lettres, vider tout mon coffret. M'acheter de nouveaux disques dans un quartier tout près de la maison.

 

Quand j'étais enfant les vendeuses de billets de loterie étaient dans de petites guérites, plus petites que les baraques de cordonniers. Et ma mère croyait à la chance pure de ma petite main.

Une odeur de papier imprimé mélangée à celle de bonbons. L'humidité de mes yeux reste en moi, et j'en sens celle de la mousse.

 

Le regret est un sentiment pondérable, ce n'est pas comme l'angoisse qui est un point aveugle.

En te racontant mon rêve j'ai compris le fonctionnement de la pensée mais pas le rêve.

 


 

Ces visages que je reconnais alors qu'ils sont anonymes, je les rapproche d'autres que j'ai connus. Parfois il faut que tout le monde me paraisse familier. Ça occupe mon espace. Je ne peux pas dire que cela enlève l'anxiété, non. C'est plus fort que moi ; il faut que je ramène ces têtes inconnues à des têtes familières. Il arrive qu'elles présagent un trouble qui peut m'affoler. Mais aussi que je puisse m'appuyer sur ces noms connus, que je mets sur des têtes étrangères. Cet appui sur ces gens inconnus, à qui je mets des noms, que je me mets à rendre intimes, me renforce. Ils rythment l'espace si vaste. Que pense l'étrangère qui se promène ? Qu'est-ce que je pense de la ville, moi, l'étrangère ? Lire dans les lignes de la main des passants, dire la bonne aventure.

 


 

Les souvenirs reviennent. La dépendance et la peur de la solitude. L'indépendance et le plaisir du faire. Quelle paresse à lire. Je regarde le dessin dans ma chambre : cet espace non cerné, tout allant vers le haut, la finesse de l'encre de chine, ces visages gracieux, et pourtant la robustesse sur leurs traits.

Avant, je suis allé promener jusqu'au Pharo. Il y avait un vent de sud-est, à la buvette. Si peu de soleil passait à travers les arbres, et à quatre heures, il était déjà bas. Je ne sais pas exprimer ce que je ressens. Éclairs d'espoir mais efforts de chaque instant. J'ai réalisé que cela faisait dix ans que l'on se connaissait.

 


 

C'était un temps où je ne mettais que du tempo dans ma vie. Il n'y avait aucun rythme. « Bah, c'est un moment à passer, » me disais-je.

Puis, même le tempo ne tint plus. Quel mauvais moment ! Je me mis en convalescence. La vaisselle, je la faisais quand il n'y avait plus d'assiettes, je ne relisais que des livres courts, je ne marchais que sur des terrains plats. Puis vint le souvenir, les mots mis sur le souvenir. Je tenais la solution. Je me suis éveillée en même temps que la nature. Et le rythme vif du printemps me donnait du plaisir.

 


 

Comme c'est fugitif, le plaisir. Toujours en train de s'échapper, laissant notre être désolé, comme vidé de sa substance. Pourtant on ne pourrait pas vivre longtemps sans ; si ce n'est tomber dans la mort. En est-il ainsi de l'amour ?

 


 

C'était un hiver pluvieux, quand les journées sont courtes, et qu'il fait nuit vite. Je me mettais dans un tombeau. Dans des éclairs de lucidité, je mettais un temps à cet enfermement. Ou alors, c'est vers la fin. Je me disais : « Quatre mois sans voir le jour. » Effectivement, je suis restée quatre mois sans sortir. Ciel de plomb, mauvais présage. Et moi, dessous, je n'étais presque rien.

 


 

Les étoiles parlent en nous, et cela nous juge aux yeux des autres hommes. Un tel est au paradis, un autre en enfer, telle est la vie sur terre. L'enfant, à la barrière, dans son manteau beige ; et la mère de l'autre côté qui hurle. Qui va la calmer ? Moi, je la prends dans mes bras. Elle me dit à l'oreille « ils sont en train de me voler mon petit ». Je regarde : l'enfant et les autres visiteurs sont partis.

Les étoiles aussi sont lunatiques, bien qu'elles nous électrisent. Maintenant la mère rit.

Tels des enfants de six ans nous parlons seuls. Parfois un regard se fige. Est-ce un ange, ou un démon entraperçu qui fait claquer des dents tout en marmonnant.

Si vaste est l'intérieur, où il n'y a que des flammes, ce désert qui brûle : c'est pour cela qu'on nous met des murs.

Il y a des nuits claires, des nuits folles, où la lune doit nous parler, car les portes s'ouvrent et se ferment sans arrêt.

Qui parle de zoo, qui dit que l'animal a gagné ? La bête est fidèle même à l'esprit. Alors que l'âme est comme le caméléon. C'est une impression qui change de couleur. Je veux le calme quand elle crie la guerre.

Comme de lancinantes lanières frappent la peau, la mère crie.

Je veux la paix des chiens. C'est pour cela que je vocifère à la lune.

 

Moi, je suis aux aguets, qui d'autre, qui d'autre à l'esprit plus affûté ? Moi je suis un chien errant, j'ai soif. Moi, je suis une sorcière, j'aimerais maîtriser les signes. Et moi, je suis la face cachée de la torpeur, le sommeil efface mes mots. « Qui d'autre, qui d'autres ? » Personne ici ne trouve le repos. « Et mon enfant, et mon enfant. »

 


 

Avant d'être au-delà des montagnes, j'ai joué ma vie à quitte ou double. Je disais au château que j'apercevais de la fenêtre : « un jour, je ne te reverrai plus ». Je m'endormais au bruit de la rivière, et des trois marronniers je ne prenais plus l'ombre. Bien après, mon arrivée dans ce nouveau pays si sec.

Des roches blanches dénudées qui plongent dans la mer : des calanques, mes yeux ne s'en régalent que de loin. Point d'eau, sinon la mer. Et la mer n'est pas mon élément. Ici, il faut toujours s'en excuser. Il m'en a fallu du temps pour que je sois avisée.

J'ai pris l'accent qui chantonne, l'été, sous le bruit de batterie que font les cigales avec leurs pattes. Dans ce pays, j'ai pleuré mon enfance comme on pleure ses dents malades.

 


 

Le bruit du tonnerre m'est apparu con de bon matin : un bruit de vieux chariot. Le ciel ne peut-il pas amener quelque chose de moderne ? Et là, près de la fenêtre, les nuages ne vont même pas si vite. Ils sont effilochés.

Non, cela ne vaut pas un ciel des Alpes ; avec des nuages si hauts, si vifs. Aujourd'hui, grisaille qui mouille les façades, et les chats errants, qui rend hostile l'espace. Comme on est loin des orages des Alpes.

 


 

Comme il doit être agréable d'être dans la campagne aujourd'hui, dans les Cévennes, à se balader sous une petite pluie. Voir les feuilles de châtaigniers gorgées d'eau. Aller jusqu'au château, puis se faire prendre en voiture. Le linge, sous la terrasse, qui ne sèche pas.

 


 

Savoir qui l'on est comme quand on demande : « c'est toi ? »

Comme j'ai été surprise par la pluie drue ce matin et comme je l'ai prise.

« C'est toi ? — Oui, c'est moi. »

 


 

Est-ce qu'il y a une religion quand il n'y a pas de dieu ? Vider le ciel, ce n'est pas rien. Confucius, le Tao Te King ne sont pas de la religion. Est-ce qu'il y a une religion quand il n'y a pas de religion ? Est-ce que ça a du sens pour d'autres que moi cette dernière phrase ?

 


 

Rencontrer des extra-terrestres. Quel serait le choc après l'étonnement ? Imaginons qu'il y en ait des différents ; des plus « humanistes » que d'autres. Est-ce qu'ils appliqueraient l'ethnologie ou la zoologie à l'humain ?

À moins qu'on leur vole le feu.

 


 

Je lambine, et je repense aux genêts au flanc de la montagne. Ma grande sœur me racontait qu'il fallait couper une branche et faire trois nœuds comme médicament contre les verrues. Le grenadier, où il fallait monter sur le parapet pour prendre ses fruits murs éclatés. À l'autre bord de la route, côté rivière, l'allée d'acacias.

Le tissu indien que je mets comme couvre-lit me fait une belle peau. Et comme le monde m'apparaît petit : plus de terres lointaines, plus d'exotisme non plus. Les éléphants de jade sont entrés dans ma maison ainsi que les baguettes pour manger le riz.

Et dans le village, nous nous attablions, ma mère, ma sœur Annick et moi, à quatre heures, devant le cageot de cerises donné par 1e voisin. J'arrêtais de manger bien avant elles.

Cette nuit, comme un petit animal aux aguêts, je me réveille toutes les heures. Cela ne m'a pas laissé le temps de rêver.

 


 

Au petit matin, une impression forte. Dans un éclair de lucidité j'avais découvert que, comme l'amour, le rêve est tout.

Je me fais des secrets, et après je les découvre.

J'ai pensé au Surréalisme. De La Révolution Surréaliste ils passent au Surréalisme au service de la Révolution : quel dommage !

 


 

Si nous n'étions pas habités, de quoi serions-nous capables ? La rage au cœur, peut-être, de quelque chose de plus grand.

Mais puisqu'on en est là, autant ne pas se laisser commander par d'autres hommes.

 

 

 

Octobre 2005

Fancine Laugier

 





© octobre 2005, Francine Laugier
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