Francine Laugier - La vie infinie

La vie infinie

J'ose écrire que les pères et les mères atteindront leur promesse. En attendant, me mettre à l'ouvrage, vigueur du soleil sec, avec au-dessus une comète filant trop vite pour celle qui regarde dans les yeux. La terre souffre, la terre vit, plus grande encore que ce que l'enfant imaginait. Je suis tenue par un porte-bonheur qui me fait « reine » dans mon hasard. Peut-on se contenter de témoigner ? Comme dit Aragon, « moi, si j'y tenais mal mon rôle c'était de n'y comprendre rien ».


La parole donnée, le bonheur de la béatitude. Maîtriser son art, quel qu'il soit, donne un grand bonheur.

Un iris, j'ai envie de dire « tout est mêlé et unifiant », comme j'ai envie de dire « tout est désastreux ». Désastreux dans le sens où il faut être attentive pour comprendre le vivant et le non vivant, pour que nous nous accordions mieux, et de l'autre, infinie beauté du tourbillon. J'aimerais des camarades. J'aimerais être une bonne camarade. Parfois faire le pari de la confiance, d'une parole donnée, comme celle d'un amour qui doit renaître.


Des bras tendus, et la jeunesse si vieillie par tant d'incertitudes, et de fatigue, avec une intuition infaillible, ne pas douter un seul instant, aller grandie, les rêveries au passé. Ma vie pleine d'airs populaires, je pressentais en ce mois de mai l'oubli renaissant.

Plus qu'une impression l'oubli du matin, où j'imagine un automatisme faisant pâlir les ans. L'écume ne se voulant pas rage, disparaît au gré d'une bouche pure, où crainte n'est plus de mise. Parfum de jardins arrosés, l'œil du cyclone s'est déplacé, nous craignions le ciel, même si l'angelot dit « chut ». Lente précipitation, quand viendra mon tour, l'aigreur sera passée, faisant un tout avec la bonté miséricordieuse. Mais le temps m'est donné, pour le regard du ciel et de la terre, car tout est question de choix, être à son aise, comme sagesse acquise à force de persévérance.


Mon compagnon à les yeux de couleur marron, mais que l'on pressent noirs ; les miens sont vert-olive. Il est étourdi, mais garde une grande dextérité. Moins écervelée, ne me prenant plus en otage, je suis passionnée, curieuse, et éveillée aux jeux d'esprit. Nous sommes tous les deux audacieux dans notre travail. De l'eau a coulé sous les ponts pour traverser la censure, linéaire est notre voie. Lui, prudent dans son audace, moi plus cigale, j'aime être à mon aise. Je dois admettre que ni l'un, ni l'autre, ne doutons de nos qualités, tout en restant humbles.


Le temps dure longtemps quand il y a plaisir, et les tendres bises, comme pour l'arche de Noé, nous choisissons nos parents ; je choisis mon maître avec la voie qui va avec, sans grandes erreurs, jusqu'à ma propre sagesse. On ne recommence pas sa vie, on la commence tous les jours pour toute sa vie. « Dans ce beau pays de France », je reste dans ma « cabane » en attendant la fin de la tourmente.


Ah, si je pouvais aller prendre la fraîcheur du matin ! La mauvaise herbe pousse au rebord de la barrière ; le chat va sans bruit, en ondulant. Passer sous le crible, je remets les comptes à zéro, comme après le tonnerre et l'éclair. Je repars d'un pas assuré et rigoureux, la providence fera le reste.

Sans mystère aucun, j'ouvre les volets, le ciel est là dans toute la largeur de la fenêtre. Où es-tu douce voix, as-tu perdu ton onde ? Clair chuchotement, léger regard, siècle rapide, meubler mon silence.


Dans les bras du sommeil je m'enroule et me laisse glisser. Je ne cherche plus à comprendre le pourquoi de la vie et de la vieillesse, j'aime vivre comme à l'année de mes quatorze ans. Pourtant, semaine après semaine, j'attends la fin de la lutte, affreuse, qui se mène au loin.

Je n'ai toujours pas de maître, je n'ai que des contemporains, qui sans voix, quand d'autres suggèrent la patience, mènent le combat.


Visage sans enfant, mère des pêcheurs. Geste maternel, geste de protection de la mère, qui apaise. Conte pour les grands ; Michel Ange et ses vierges, pleines de candeur, presque adolescentes. Enfants vigoureux, tous ronds, toujours soutenus avec délicatesse. Chaque mère est un peu de ces vierges, que l'homme tailla à même la pierre.


Après m'être un peu perdue, je retrouve le temps et l'espace des ruelles. Je fuis la foule. Je retombe dans le présent. Dans l'humanité, j'ai choisi l'amour et la camaraderie. L'amour a l'âme d'un tigre. L'amie est là pour aimer encore, pourtant chose si difficile à acquérir ! C'est en écoutant Albinoni que j'écris ces mots simples. J'ai souvent mis mes sentiments en avant, j'en oubliais l'esprit. Dans la périphérie, j'essaie de vivre mieux qu'avant, avec simplicité, et contentement. Approchant la soixantaine, je n'ai plus rien à perdre, mais à gagner avec le temps qu'il me reste à vivre.


Quand nous avons un certain regard, nous trouvons beau tellement de lieux, des lieux où nous nous sentons bien dans l'espace. D'autres ne trouveraient aucun intérêt à s'y promener. Un objet qui a vieilli, un peu patiné, me plaira, alors qu'un autre n'aimera que ce qui est de la dernière mode. J'ai peu d'objets, j'ai ce qu'il me faut pour travailler, et juste assez pour décorer, souvent avec à-propos.


Le nœud que nous essayons de défaire, parfois l'envie de le trancher comme le nœud gordien. Pourtant chaque jour on mange, chaque jour défile, nous allons vers la mort. La jeunesse au mieux s'en éloigne, comme météore, va vite.

Nous ne pouvons pas arrêter le temps, au plus le suivre pas à pas, comme certains soirs, le plaisir de se prélasser en buvant du vin rosé, en vapant du tabac à l'arôme blond.

Nous ne pouvons arrêter la mort, la perfection n'existant pas chez l'humain.


J'oublie le monde, comme je tire mon rideau, noir et rouge.

J'oublie le monde comme le monde m'oublie, dans cette chaleur humide.

Demain sera donc un autre jour, où avec intuition, je chercherai mes mots.

Demain encore, la sagesse l'emportera sur l'envie.





Juin 2014, Francine Laugier



© Francine Laugier, juin 2014.
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