Francine Laugier

Feuillets Épars - 2019-2020


Murs



Feuillets épars


Est-ce que le soleil a l’heure aussi exacte que nous les humains ?

On utilise autant d’énergie pour l’accélération que pour la décélération.

En fin de compte les mathématiciens sont des techniciens, ce sont des mesureurs.

J’aime sauter le temps, je fais des trous.

Je m’engouffre dans le temps, je mange le temps.

Il n’y a pas que le vivant qui vit le temps ; le fer rouille, le bois s’effrite. C’est ce qui fait dire à Jean-Pierre que les matériaux vivent.

Le temps crée les planètes.

Est-ce que parce que je suis femme que je donne autant d’importance à la décélération qu’à l’accélération ?

Le temps invente-t-il des fables ? Nous fait-il rêver ?

Nous participons tous au temps, que de phrases détruites, chut ! Je ne sais quoi faire.

Le mathématicien Élie During, parle du temps en disant « la ligne de devenir ». Cela dépasse l’action et l’inaction.

Il n’y a que dans « l’écoute flottante » de Freud que l’on apprend quelque chose. La place que cela laisse au hasard, aussi. En fin de compte il faut sentir les choses, il n’y a pas de hasard.

On dit les sens, on dit le sens. D’où l’erreur des neurologues de toujours voir le cerveau en entier. L’importance de William James.

À corps déployé.

Marguerite Duras laisse du silence pour faire place au concret.


Entre rêve et cauchemar, je languis le port. Flottement n’est pas flou. Je suis, c’est tout ce que je sais. Je n’oublierai jamais le jour où je me suis ressouvenue des autres, le visage de la communauté, éblouie par tant de partage. Plus jamais je n’oublierai la communauté, plus jamais je ne serai cette enfant farouche. Il ne m’en coûte rien. À part maudire d’être humain qu’avons-nous à rétorquer ? La trahison est cuisante mais se cicatrise d’elle-même. Allons, je marche encore.


Une distance est nécessaire pour la survie. La goutte d’eau dans la vague s’évapore parfois, ou fait vague. Suivant l’humeur, suivant la vie, suivant la mort.


Bientôt mon anniversaire, j’avance dans l’âge toujours curieuse et étonnée. Qui me connais mieux que moi ? Bien fort celui qui s’avance. Je suis à la fois sauvage et sociable, primaire et secondaire, et ainsi de suite. J’aime la bonté, car elle offre des instants où l’on échange, où l’on partage. Aucun miroir ne me renvoie une image aussi belle que celle du regard de l’autre. Et je n’ai qu’eux. Mais mon regard sur l’autre reste perçant. Les adultes se jugent, sévèrement parfois. Et alors les traîtres savent qu’ils ont été traîtres, les sages savent qu’ils sont sages. Mais il n’y a pas de parfait, l’humain est imparfait. C’est pour cela ami, reste fidèle car il faut toujours, comme Adam et Ève, être au moins à deux.

Plus qu’espoir, destin. Main dans la main si tu le veux bien.


Les filles c’est la beauté du jour. Elles apportent aux garçons l’éveil et la naissance du jour. Eux si ombragés trouvent clarté en leur présence, comme si l’aurore éclairait enfin leur vie. Cette vivacité a l’ampleur de l’amour. Le forgeron et la laitière réunis dans le même tableau, comme le monde est bien chargé de la féminine nébulosité. Comme le couple trace sillon dans la terre ferme, où est « la rivière profonde en plein mitan du lit », comme la rencontre du féminin et du masculin qui s’unissent pour le pire et le meilleur ; pour le mystère que l’on tente de dévoiler, dans l’attraction de deux corps unis.


La gratuité du hasard. Le calcul mène si loin de l’aventure. « Partir, ne pas savoir où l’on va, écrire donc ».


Revoir l’aurore, quand tout sort de la nuit, jaillit de l’air et du sol, vibrant de vie, sans blessure car rien ne presse la clarté du jour. Et le jour est là, lumineux comme la croûte d’un croissant chaud. Mon visage est doux alors dans le miroir, je soulève mes cheveux, je les attache avec une simple barrette comme une collégienne. Suis-je devenue cette femme forte, qui n’a pas peur devant le danger, qui n’est plus malade et qui, ligne par ligne, chante l’aurore. Voir l’aurore en septembre bénir la terre et l’humanité, comme les chrétiens le jour de la Saint Jean-Baptiste. La communion humaine où tous les travaux du monde nous semblent merveilleux, le cœur ému de l’humain fort de tant de richesse.




Les femmes jouent le groupe, c’est pour cela que nous les aimons.

Cauchemar gargantuesque, si loin de la réalité sensible.

« La communauté est-elle réelle ou est-elle sacrée ? » On choisit dedans.


Quelle voix de femme, si claire, comme une rivière où les truites fermes et légères remontent la pente.

C’est si passionnant la vie d’humaine quand arrive l’âge de la pleine maturité. Vivent les hommes, vive les humains. Et ce petit garçon aux lunettes jouant au vrai marchand : par cela même si beau.

De ces dernières années je retiens le bruit d’abeilles des cyclomoteurs. Et bien sûr la grosse fatigue.


Un jour un homme m’a parlé du libre-arbitre. Je ne comprenais pas. Puis plus tard, en un éclair, c’est devenu limpide. Je sus alors que l’on n’avait pas qu’un destin, je sus que l’on pouvait choisir, et aussi mieux se connaître.


Je suis la gardienne de mes décisions les plus intimes, je suis la gardienne de ma vie, de ma parole tenue, de la camaraderie la plus sincère.

Je n’étais que rêves. Profiter, l’espoir m’amène à l’entraide ; le repos à l’action.

Je n’ai pas envie de pleurer. J’ai envie de sourire. S’arrêter, ne pas s’arrêter dans l’attendrissement, aller de visage rayonnant en visage rayonnant.


Mesurer ses forces et celles de ceux que l’on rencontre, pour éviter de souffrir et de faire souffrir.

Belles ombres dans l’éclairage du jour, cette rue de Marseille.

Un a choisi mes fleurs, l’autre la carte postale. J’aime que l’on choisisse ce que l’on m’offre.


Vague à l’âme, pourtant le train avance maintenant. Maintenant c’est certain, comme ma mère le chemin dans la neige, je fais la trace en avançant.

Mal au cœur de tant de misère, monstrueuse misère.

Tout en moi réclame l’apaisement, yeux durs qui consolent de la guerre, font désirer la paix. Mais avant tout désirer la justesse du cœur, celle éternelle qui guérit de tout.


Tout s’est tu, glissement comme de l’eau à la surface de pierres plates. Tout s’est tu, ou presque, t’abandonnant à ton sort. C’est ce que tu as pensé, c’est la prière que tu as dite, en pleine conscience, qui jouent pour toi.

Tu reviens, tu remontes, et tu ne trahis pas, et tu revis.


Chacun raconte ce qu’il veut, mais il y a une réalité.

Clore, et éclore à nouveau.

La peine peut engendrer des monstres chez certains, moi je réclame justice.

Certains peuvent penser que je m’ennuie, j’aime faire voleter mon esprit pour ce que j’aime ou que je déteste.


Cela me quitte. Je ressens un grand soulagement avec une pointe de nostalgie. Mais demain, demain sera fait aussi de tant d’espoir, de tant de camaraderie, aussi de tant de création et de travail.

Tout en étant plus responsable atteindre une réalité sensible.

Comme la jeunesse dans un présent et un futur.

J’attends l’heure fraîche pour sortir.




Il n’y a pas de temps parallèle, il n’y a qu’un espace-temps.


Je me rends compte que l’histoire, même l’histoire personnelle aide beaucoup à faire nos choix même quand il y a grande hésitation. Ce n’est plus alors « ne pas faire de compromission » mais cela confirme son choix. Même si la peur de nous trahir a été pour beaucoup au début de notre pensée.


Tout est en place, j’oublie le tourment. Hello ouvriers, nous pouvons savourer la réussite de notre longue lutte. Le sourire du jour où coulent les rayons du soleil, terre promise pour les sages et les braves. Être joyeux, gai jusqu’au bonheur. L’abandon à l’espace et au temps, je songe à l’amour que je porte et que l’on me porte, Allah merci.

Un chien passe et tire la langue, ne prévoit-il pas la soif ?


La vieillesse populaire, à Marseille on la montre. C’est peut-être une éducation en Provence.

Le musée Longchamp devrait acheter des photographies de Guy Pochon. Ce que j’aime chez lui, c’est que ses portraits sont des portraits. Il donne espace à la vieillesse dans la ville.

Dans le même musée se trouve un portrait par Mireille Duparc. Il représente une vieille femme ; touches de peinture, en dentelle.

J’ai dans la tête aussi les santons chrétiens. Certains représentent de vieux hommes portant des fagots de bois morts. Tant de labeur accumulé chez les vieux.

Rentrer dans le silence d’une chaleur lourde au musée Longchamp. Soleil brûlant d’été. Le peintre Loubon y a représenté des espaces mous. Ronde de la terre de Provence. Déjà c’est moins sec !


Je ne peux dire que j’ai de la nostalgie car je serais tiré en arrière. Le cafard, oui je l’ai, je suis tirée en avant.


Dès fois j’ai la haine, et comme je suis bête alors. Il me faut un moment de recul pour corriger, et cela me fait aimer le plus grand nombre. La haine, de l’autre, peut être émouvante mais combien tracassante et pénible. Beaucoup de difficultés viennent du manque de temps à la réflexion. Chaque individu le sait, chaque communauté aussi.


C’est dur de rester sur de mauvaises impressions. Les faire passer en recommençant et en réussissant. Vivacité de l’esprit et du geste. Mon pouce à l’extérieur pour ouvrir. L’esprit faisant corps aussi avec le corps. L’un indivisible.

Faire sa vie au fil des expériences. Le libre-arbitre et le temps de la réflexion. Les quatre saisons, le jour et la nuit, le rythme des repas, celui des fêtes, les sorties au musée, aux vernissages, au cinéma, au théâtre, le lèche-vitrine, les promenades à vive allure, les plus nonchalantes où je prends des photos, chanter, danser, vivre avec ses gestes, et bien sûr le temps de l’écriture et aussi celui de la lecture, voir des camarades-amis ceux que l’on aime.

Plus rien ne dépérit.


« Après la certitude il y a l’espoir » ; Hobbes à Descartes.

L’abandon me fût nécessaire. Le piège est la plupart du temps les demandes incessantes des autres. Mais je suis contre les monastères où toutes autres réclusions. Les autres sont là, présents, et quand pour s’en éloigner, on choisit la cabane en forêt, il y a le piaillement des oiseaux, le craquement des arbres, le bruit de l’eau de la rivière, le bourdonnement dans les oreilles. La solitude effacée, toujours la présence. On ne peut effacer le monde. La déception vient de l’excès de rejets ou de l’excès de demandes des autres. Avoir ses liens, voilà le rêve.


Pour mieux me retrouver j’ai laissé vagabonder ma compréhension dans ma fureur de vivre. Je n’ai rien oublié sur mon chemin, même pas l’envie folle de chanter mon nouveau rythme. Paisible je vais, je n’ai rien perdu de ce qui était ma force de conduite, paisible je vais. La trace m’amène sur ce qui fait que je suis moi, entière et comblée. L’authentique savoir, qui dévoile l’histoire et la place que l’on prend, seuls des regards se posent.


J’ai tâtonné, j’ai suivi, j’ai rattrapé. La colère parfois, qui libère le trop d’énergie et qui fait ombre. Il était question de l’humain, non de fables à décrypter. La prière se fait dans la solitude, dans la plus totale confidence. Toute vie veut vivre, et bien de surcroît. Il n’y a pas de terre promise, vivre là, dans le port.


Parfois j’attends une réponse. Je n’ai pourtant pas de réponse. Ou alors elle est nette et tranchante : « le singe ne sait qu’être simiesque, l’humain sait être inhumain ». Et cela dans le pire trouble, dans la pire atrocité. Jamais dans ce qui pourrait faire de lui un surhumain.

Alors nous désespérons de ce que nous sommes. Quand nous pressentons une sortie s’abat la canaille. Tous, à part une poignée qui tient au moins à être humain. Ainsi les humains rencontrent-ils dans la vie une solitude et un ennui profond


Dans la journée le ciel s’est assombri. Les mots de mon enfance reviennent. Des mots d’argot ou de provençal. Voilà du temps écoulé, qui ne me fait pas dire « cela a vite passé ». Non, le temps s’écoule nonchalant, n’ébruite plus la clameur de la foule, seuls les cris des mouettes me rappellent le nombre. Le vide était déjà là, autour de moi, quand je me pressais encore à paraître. J’aimais tant la tombée du jour alors, faire que les masques s’envolent loin de ma table. J’égrenais jusqu’à épuisement mes insatisfactions. Maintenant tout devient exploits, découvertes. Je n’ai jamais autant aimé tout ce qui m’arrive.


Fredaines fredonnées, je m’enivre. Je tire dans un coin de la pièce table et chaises, paso, paso-doble. Loin, au loin, bruit de moteur que je devine. Plus rien ne passe, presser le jus d’orange sanguine. Ne rien oublier qui peut voiler ma curiosité. Ne rien perdre dans la continuité de mes journées. Salé, poivré, le gratin va au four de la cuisinière. L’aurore, s’attarde à venir le plein jour. Je bois à grand trait ce qu’il me dit, j’entrecoupe de question. Où va la nuit quand elle finit ? Le jour paraît. Je n’ai pas oublié la blouse de coton gris de mon instituteur, qui une fois mise signifiait : « ça y est, on démarre ». La ronéo à alcool, tous autour du bureau, ah l’odeur ! J’aime jouer, scrabble, belote, gagner. La chanson du vent est celle des quatre saisons. De la nuit et du jour, je retiens la joie de vivre encore.


Les fleurs sont magnifiques et j’aime encore parcourir les hauteurs de mon quartier. Près de la plage l’hiver, tout n’est qu’embrun parfumé. Comme je le disais, il a plu. Le temps calmé, à pas vifs, visage baigné par la bruine.

J’espère comprendre encore, ce qui parsème le livre de tant de secrets féminins. Le faire si présent. L’objet, l’outil, la machine, sont aussi affaire de femme. La machine à coudre, l’ordinateur, le piano, la voiture, le stylo-encre, la recette de cuisine, l’appareil-photo…, tous agissent aussi dans les livres de femme.

La lampe qui éclaire le plan de mon bureau me donne une intimité avec le clavier. Elle m’isole du bruit, m’ancre à mon ordinateur. Installée sur mon lit, la feuille blanche se remplit. De temps en temps mon regard se pose sur les objets de la pièce.

Ce qui enveloppe : la nébulosité, la nuit, l’écharpe autour du cou.

Voir le jour, aller le matin au bas du boulevard Vauban faire les courses. Je ne vais plus au bar avec mon cahier, j’aime m’isoler pour écrire. Au bar j’y bavarde. M’acheter une machine à coudre.


Je m’impatiente que le jour se lève comme s’il allait trop tarder. Mais c’est certain, il va venir. Tant d’éveil. « Par l’aurore, par la nuit quand elle s’étend » dictait Mohammad dans la sourate de l’Aube. Tant de beauté.


Je n’ai plus eu envie de gommer.


Ma sœur Marguerite m’a envoyé une carte postale du peintre expressionniste Modigliani. Le portrait d’une femme, assise sur une chaise, une main posée avec légèreté sur son épaule.

Cette peinture voulait dire :

« Je ne languis pas, non, j’attends ». Quelque chose de moi.

« Regardez ma tristesse, cela m’encourage et me rend belle ». Quelque-chose d’elle.


Le rêve est toujours réalité quelque part. Prend réalité, Olga.


Seule la beauté, la déception, amènent les larmes. Rarement la haine.

La peur blanchit, la haine assombrit. Le rire franc détend, le sourire assouplit et embellit. Le regard noir de l’amant rassure. La rage fait tout casser dans la maison.

Écouter les Quatre saisons de Vivaldi, la force tempérée.


La femme c’est la présence.


Aujourd’hui, je regrette que l’écriture ne soit pas au rendez-vous. Aussi cette nuit qui n’est pas nuit noire empêche la concentration. Le monde est tellement plein d’images. Des amis repartent dans l’oubli, passe du temps plein, se déchargent tant d’émotions. Ne plus être pressée, comme une rivière suivre son cours, fraîche et limpide.


Le festin est immense. Il n’est que de l’essentiel pourtant. Une partie de ma vie fût remplie de vertige, puis de crainte et d’enthousiasme, vint ensuite la fatigue et l’espoir. Aujourd’hui, de plus en plus utilitariste je fais le tri. Ceux qui sont venus je ne les ai jamais oubliés, je n’oublierai jamais ceux qui peuvent encore venir.

De mille gestes pour apaiser le rêve. Dans le vacarme que fait la foule, de mille éclats triomphe le « je ».


Ce n’était ni un rêve, ni un cauchemar. C’était ma réalité. J’étais seule. Très seule. Depuis, des mois et des semaines sont venus tout balayer. Un rien qui se creuse et s’habite.

Des cumulus-nimbus, beau temps sur Marseille.

Le temps comme l’âme est fait de creux et de crêtes. On avance sur cette ondulation, agile comme un surf, en se laissant porter.


Je suis une briseuse de rêverie, je campe sur le rêve. Par ma profondeur désinvolte je vais où m’emportent mes émotions. Elles renversaient la surface et l’intérieur, la gauche et la droite, le centre et le haut, tout mon être en émoi. Quand tout fût liés, je ressentis une telle accélération, j’étais bouleversée. Dans la décélération le soulagement ; tant de peines lancées, qui m’avaient meurtrie de blessures profondes. Reste de ceci l’élan, le grand enjambement vers le futur, et toujours miaulent lascivement des chats.


Les femmes sont belles quand elles sont appliquées. Leur regard devient vivant. De la personne qui réfléchit, le regard et la tête mobile, à la couturière penchée sur son ouvrage, les paupières à demi fermées, qui se relèvent ; des yeux de statues de femmes noire, ou de bouddhas.

Je dois dire qu’à part dans les jardins, des statues à taille humaine, seuls les bustes de statues d’Afrique Noire ne me font pas peur. Leurs yeux semblent clos et ouverts à la fois. Cela donne du mouvement. Pierrette en avait une sur sa table de nuit. Je sens un grand repos à les regarder.

Les yeux des Bouddhas me semblent plus surfaits, parce que clos seulement.

Une simple poupée européenne, posée sur un meuble, peut m’inquiéter par ses yeux fixes et grands-ouverts.


Le roulis de la pluie et le battement des volets mal fermés. Les gouttes rebondissent sur l’asphalte, comme de tout petits ballons.

« La pluie, ça arrose les jardins disait le père. » Le fils trouvait ça bête. Moi non, car je suis femme, et les femmes ont plus le sens du pratique.


La force est une qualité de l’humain. La puissance relève de la machine.


Rien à bâbord, rien à tribord. Calme plat. Trop à l’écoute, je m’endors. Je dois être terre-à-terre pour agir, faire corps, m’abandonner au tout. Je n’y vois presque plus à ma pauvre table, j’ai donné tant de livres. L’oubli est profond pour un ciel sans nuages. Je ne suis pas mécontente. Mais, « est-ce ainsi que les hommes vivent ? ». Je suis étonnée, étonnée, étonnée.


Responsabilité des humains grandis.

« Nul n’est censé ignorer la loi », est-il écrit dans la constitution française.


La langue renforce l’ontologie, le « Je ».


On aimerait souvent fermer les yeux devant les choses de la vie. Pourtant on est heureux d’y participer quelle que soit notre place et notre âge.

On peut dire adieux à notre jeunesse mais nous la revivons à travers eux. Ce décalage nous permet de mieux les comprendre. Ce décalage, mais aussi parce que nous avons été jeunes nous aussi. « Merci de nous voir comme des anges, mais nous, nous nous voulons démon », nous rétorquent les jeunes gens. Et nous sourions de leur humour, de leur force de caractère.


Comment m’y prendre à nouveau ? En pénétrant le temps. C’est passionnant d’expérimenter la force de vie qui a mûri tout au fond de soi, pareille à un poirier aux fruits succulents. Les poires je les aime bien mûres, leur goût reste au palais bien après les avoir mangées.

Le turbulent vent s’est tu, dans ma nuit blanche dans la pièce refroidie, je poursuis les variations de mes états-d’âme. Plus rien n’obsède le silence qui se glisse dans la pénombre du soir.


Je mets l’attente dans l’action. Aussi j’ai besoin de penser avant, de faire des bilans, de projeter intellectuellement ma vie. Je pense avant le travail. Écrire n’a pas d’heure chez moi, mais pour cela il me faut avoir une longue plage de temps. C’est presque toujours la nuit. Parfois dans une après-midi pluvieuse, je me calfeutre pour prendre la plume.

Une amie me disait « tes bébés » en parlant de mes textes. Non, merci, j’ai plus l’impression de me materner. L’échange alors avec l’autre est direct, réciproque, égalitaire.


Demain l’été. Ce printemps ne fût pas une saison forte. J’ai trop traîné. Le vacarme se fait rare, se taisent en moi aussi les voix intérieures. Beaucoup d’impressions tiennent de l’esprit. Je suis tranquille, je sais chasser les fantômes. Comme tout printemps, l’air est chargé, les dernières journées avec un très fort vent du Sud. Je dis adieux au farniente, bonjour printemps de la vieillesse.



J’ai eu très peur que le jour ne vienne plus. Comme atmosphère enfumée, le ciel était grisaille. Nuit noire. Les jours de pluie étaient passés, avec leurs éclairs qui illuminaient le ciel, et les coups de tonnerre fracassants.

Pierre Livet écrivait que la communauté est une illusion ; qu’elle n’existe que si l’on y croit. Etrange époque où pour moi elle est apparue en négatif, (au sens hégélien donc pas péjoratif). Mais je suis déjà ailleurs, et n’y crois plus. Je ne regrette pourtant pas d’avoir rencontré ce leurre, pas seulement parce qu’il m’amène à être cet électron libre que je suis, mais par l’intensité des éclats de bonheur lors de cette traversée. Guettaient mes ennemis, qui me sachant sensible à la beauté, essayèrent de me détruire. Ils n’étaient qu’une traînée de fumée grise qui a disparu.

J’écrivais « La communauté amène à Allah, Allah ramène à la communauté. » Ma communauté, voici mon cœur en émoi à la nommer, ils sont comme des piliers qui soutiennent mon temple de vie.


Quand monte le jour nous accumulons l’énergie nécessaire pour affermir notre pensée et nos actes ; chacun va son train. Quand monte le jour, enfin le cri des enfants, enfin un froid plus vif dans cette journée d’automne. Déjà la fin d’année approche, on peut voir sur les étagères des magasins les friandises de cette fête. Quand le jour monte, la nature aussi s’élève, en haut des arbres des rayons de soleil. L’ondulation des chats qui marchent sur le muret, tout s’éveille, les collines qui entourent Marseille, la mer et l’horizon.

À midi je fais une omelette aux cèpes. En forêt la chasse est encore ouverte, les lièvres fuient. Le lac en montagne s’endort. Les chamois grimpent sans vertige sur les chemins escarpés où les loups ne peuvent suivre. Tout est clair en moi, l’eau froide des fontaines sur les places publiques réveille. Même les voitures et les cyclomoteurs font un bruit plus net, et souvent vont plus vite.

Normalement la « Corse » doit me faire une veste au crochet, les couturiers la doubleront de tissus fin et soyeux, pour prendre le jour jusqu’à ce que les magnifiques lampadaires éclairent les rues.


La mort c’est la dépendance.

Le destin n’existe pas, il y a la vie que l’on façonne tout le long de son trajet.

Et les femmes qui veulent toujours dire ce que sont les femmes, à longueur d’ondes, de discussions, ne peuvent-elles pas apparaître pour ce qu’elles sont individuellement ?

Il y a mille façons d’être femme, mille façons d’être homme.

Tout témoigne de la vie.

Je travaille et soigne mon corps au fil des ans. Mon âme sereine, mon esprit très éveillé ou au repos.

Pourquoi être désarmé devant la méchanceté ? Ça ne pique plus quand cela surprend dans sa bonté. Ça pique quand elle tombe juste.

Lire « Le sermon à la montagne » de Dogen, relire une prière du Coran. Peut-être ce soir je vais prier pour remercier la Terre et Allah.


J’étais Troyenne, sans fin je l’attendais, tissant de rêves mon effroyable voyage.

Tous nous languissons le port. Dormir enfin, pour se réveiller dans une réalité sensible. Après l’esprit, c’est surtout le corps qui souffre maintenant, tout demande du repos. L’énervement était tel ces derniers mois qu’il abrutissait nos réflexes, qu’il allongeait les minutes à le supporter. J’aurais bien détruit la maison pierre à pierre, j’aurais hurlé à tous mon besoin d’aide. L’appel à l’aide était immense chez nous tous. Quand nous nous en rendions compte cela nous rassurait, mais nous terrorisait d’imaginer ne pas arriver à vaincre. Hommes, femmes : « des soldats habillés pour une autre guerre ».



Les voix se taisent enfin, s’endorment ; plus que le miaulement d’une chatte. Du bruitage l’énervement. Puis tout s’évanouit à jamais dans la nuit noire de l’oubli.


Nous voici après. Même si l’ombre ne s’est pas retirée, et qu’à nouveau tout tremble de peur. Cœur glacé, tant de ouï-dire crus ; vers d’autres foyers je dirige mes pas.


Dans le creux de ma main j’ai mis quatre sous, pour m’acheter une écharpe, aux couleurs de printemps.


Les yeux vides et pleins du pigeon mort ; sérénité d’un moment.

Je suis calme. La peur parfois me taraude encore, mais dans un calme.

Peut-être un évanouissement, peut-être un grand vertige.

Ça ravine


Qu’un court instant de paix. Qu’un court instant d’espoir. Combien je comprends « ne plus rien ressentir ». Ou quelque chose de plus européen : s'enivrer de beauté, d’horreur ; cela jusqu’à la fin.

Pleine conscience.

Ne plus avoir de cerveau, ne plus avoir de conscience.


Francine Laugier, 2019-2020



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