Poème

Francine Laugier - Été 2014




Poème

Âmes déroutantes

Ce soir, les heures tournent vite, ma pensée aussi

C’est toi ?

Impressions du mois de mai

De petits riens

Dans le silence

Plis et replis

Ma douleur

Le sanglot

Dans la nuit

Sautes d’humeur

J’ai mis mon cœur entre deux feux



Âmes déroutantes

Avant j’habillais le vêtement, maintenant je le porte. Je n’ai pas fait vœu, comme les nones bouddhistes, de porter la bure orange. Faire face devant le monde, la besace pleine mais le cœur en émoi, c’est la souffrance maintenant qui fait la différence. Des alliances se lient qui dureront, ainsi que la paix de leurs peuples, comme une attente toujours promise. Moi je pense au silence, aux lettres si mal tracées, à ma place dans le monde.

Rouge et rouge comme la couleur de l’action. Voici la place que l’homme se garde : dans un cœur qui bat. Je retrouve petit à petit le moment de la non-âme, en espérant que la douleur soit exténuée dans le flot de paroles jamais atteint jusqu’ici. La prière ne s’arrête pas un jour comme cela, dans le présent, elle coule pour les années futures et lointaines.

La mort n'est pas un jeu comme le poker menteur, l’on ne peut cacher ses cartes. J’espère remercier avant ma mort, lucide et froide, comme une dernière bouderie. Pierre m’a rendue nostalgique : la mort n’est pas poésie, comme croire en Dieu n’est pas croire, mais bien tendre vers une justice à laquelle nous sommes bien obligés de faire confiance.

Il est aussi vrai que la terre se réchauffe, que moi je sois artiste, c’est un humble et un sage qui m’a appris cela. Mais qu’est-ce qu’être créatrice, moi qui sors à peine des bras du rêve ? C’est battre la mesure avec le temps, c’est toujours chercher sa petite voix intérieure, comme si elle ne voulait plus nous souffler ce que l’on a à dire. D’elle je tiens la vitesse de mon écriture, souvent paresseuse elle me fait rester longtemps devant la feuille blanche.

Si ça pouvait sortir de moi, comme une lumière qui dicte le chemin à suivre, si seulement je pouvais comprendre un peu la langue de ma mère. Est-ce que la voie passe par là : guérir avec le verbe. Pleine, pleine de mots comme : rassurée, émerveillée, prendre et donner. Parfois l’écriture se fait plus gaie, elle évoque le pot en terre, les paroles des amis, l’aventure sur l’épaule large du compagnon. Elle parle de linge fin, de nourriture légère, et de vin frais.

Commencer par le plus difficile, telle est ma volonté du matin, ne pas arrêter l’action. L’amour plus que la haine m’ont tenu éveillée, à ma table j’ai déposé les feuillets du livre à venir. Il faut être différent pour ne pas ressentir la jalousie, et surtout ne pas être prise pour une idiote. Telle était ma pensée, et je me suis sentie heureuse de voir la maison rangée. Savoir attendre, toujours rester sur sa faim, pour que la nourriture reste en bouche, et le vin rosé laisse dans la gorge son goût prononcé d’amande.

Bruit de batterie, bruit de cœur qui bat, corps qui se dénudent, dimanches tristes des citadins. Je ne suis pas de la fête, je préfère entendre marcher mon aspirateur ce jour-là, d’ailleurs je ne suis d’aucune fête. Comme les âmes sont déroutantes si on les suit de près ; chacun prie pour sa chapelle, les miennes ont le souffle de ce qui anime l’esprit, et jouent, comme on tourne les pages d’un livre, où l’important est le mot langue.

Ne pas demander ce que l’on ne cherche pas, mais ne pas demander non plus ce qui est essentiel pour soi. Se mettre à sa table, persévérer est parfois d'une telle douleur, qu’il faut la force d’un bœuf pour tirer le fil. La satisfaction est d’entendre prendre les empreintes comme on parle une langue étrangère.

Je circule, un monde nouveau s’ouvre, la ville semble sortir d’un long sommeil, mon regard est lancinant devant le jeune couple qui voit au loin. Je fais mes marques, je passe comme je passe quand je fais mes courses. Doucement mon âme se tourmente, tant de changements ! M’organiser pour mes rendez-vous. Après tant de luttes, quand le verbe devient choix errant, ma pensée fugace témoigne de la transformation.

En Méditerranée à toutes les villes on ajoute « la blanche » : Marseille la blanche, Alger la blanche, Athènes la blanche. On dit que les mouettes ont un accent différent suivant la rive, quand je l’ai dit à un Anglais cela l’a amusé. En arrivant en bateau à Alger on voit la roche, alors qu’à Marseille on voit les quais et les grandes formes. Le long du golfe de Fos, les marins ne ressentent aucune nostalgie, déjà les golfes clairs.

Janvier 2012


Ce soir, les heures tournent vite,
ma pensée aussi

Je n’ai pas été brisée, tout au plus cela m’a rendue nostalgique et friande de belles choses, comme la lampe solaire qui tombe dans la mer, les signes sur le papier que je suis, le partage des corvées, l’amour qui a le temps de se laisser apprivoiser, qui sait caresser. Mais d’abord affermir ses forces. La joie enfin, comme Lao Tseu, de naître adulte, de partager ce qu’il y a de transmissible par le travail chaque jour remis sur la table, pour approfondir sa connaissance et son plaisir

La parole bouge, je comprends, comme après un silence bavard. Tout en suivant chaque péripétie, le métier sort de moi limpide et profond, avec la certitude de l’amour. Le silence du mystère parle en moi, témoigne de mon vif tempérament. Elle trouva qu’il manquait des couleurs dans mon écrit, aujourd’hui l’arc-en-ciel est là, quand coulent enfin les mots, comme les perles d’une rivière, translucides et opaques.

La parole dans le rêve qui donne « des coups de bâtons » à qui gène ses coups d’aile. Mon âme s’affranchit de ce qui la blesse, peu à peu redevient autonome. Elle renoue avec ceux qu’elle aime et ce qu’elle aime faire. Bien sûr rien n’est pourléché, même pas le cristal qui a une structure imparfaite ; et puis tout bouge, tout est en vie. Nous devons sans arrêt nous adapter en prenant soin de nous.

Je retrouve janvier avec la vigueur d’un printemps et la douceur d’un automne. J'aimerais me demander plus, encore plus, il le faut ! Mais j’ai tellement sommeil, tellement besoin de rester au chaud. Pourtant il le faut, je vais me demander plus, chaque jour un peu plus, jusqu’à ce que j’arrive à la maîtrise de ce que je me suis donné à faire, à la maîtrise de mon art. Pour cela j'ai bravé le sommeil et le froid.

Boire un peu d’eau pour marquer le silence, prospérer dans le manque, aller après le temps du lavage, pendant que le jour se lève, pour boire un café chaud. Presque tous les livres intéressants que je lis finissent en queue de poisson : quand on veut conclure et que se glisse un « et alors ! ». Un « et alors », qui n’altère pas la dure pureté de ce qui a été dit avant. Laisser en suspens, le lecteur attentionné dans l’instant où il lit, voit, se sent en communion, conçoit des pensées.

Mon travail consiste à dire en décalage ce que les autres pensent ou disent. Tout simplement être un pas de côté, comme les edelweiss veloutés parsèment la roche, envoûtant les grimpeurs. Pour que le changement soit valable, il ne faut pas tout changer d’un coup : changer les grandes lignes, mais garder une part de quotidien. Qu’est-ce encore à dire aujourd’hui ? Sinon la ville, belle, comme on dit à portée de main : grande et petite à la fois.

Tu parles, langue ? Infini du dire, tu es vivante, là, sous ma plume : tes arrangements sont de l’ordre des mathématiques. Tu parles, ma langue, et tout correspond : infini de la mémoire, infini de l’association. Devant tes rébus, prenant mon éthique avec calme, tu deviens courageuse et intelligente. Langue maternelle tu me reviens avec si peu de souvenirs qu’aujourd'hui mes verres ont besoin de décrypter mes manuscrits. Se prendre au sérieux juste ce qu’il faut pour le travail de l’œuvre.

Je n’ai pas fermé l’œil pour que les ombres de la nuit ne me suivent plus. Pour dormir debout dans le jour. Pour me faire plaindre, pour dire combien cela me coûte, d’avoir attendu une nuit mon rendez-vous que je ne veux manquer. Mais je peux tout aussi bien le prendre à la légère, en chemin m’acheter un croissant, prendre au mot votre heure, m’organiser autour d’elle.

Les rêves ne m’ont pas trahie, ils me guident encore dans ce fond glacial qu’est la réalité. Ne pas trahir le tremblement de mes cordes vocales, pourtant ce froid que j’ai tant appelé de mes vœux, ne me déçoit pas, tant que parle encore ce qui fait que le temps est perdu dans le temps. Ce froid pourtant qui me ramène à l’animal, mes rêves ne me déçoivent pourtant pas, ils me parlent d’alphabets oniriques, ils me parlent d’un marin qui avait perdu sa vie de ne pas entendre ce qui le reliait sans détour à sa foi.

J’en appelle encore au froid, au réveil, à la solitude ; assise les deux pieds nus par terre, n’être presque qu’un corps. Un corps en santé pourtant, mais qui est trop lourd comme quand l’amour s’est retiré. Un corps solitaire, mais où la souffrance est acceptée avec plus de facilité que lorsque c’est l’esprit qui le quitte. Un corps de déception comme on le rencontre parfois dans la crudité de l’amour, après les frissons : je ne suis que cela, que ce corps-là. Le corps solitaire, comme quand l’amour fut trop satisfaisant.

Arène personnelle ou se mène un conflit rude et exigeant. Je pleurerais volontiers, mais je suis seule au combat, avec le temps que je compte. C'est pour moi cette lutte, je prends la balle au bond, pour me donner du temps enfin !

Serait-il aussi montré et caché que le trésor des pirates, ce chant des dockers et des matelots ? La voix est la même : sourde, ombragée. Cette voix n’est pas désenchantée, deviendrait-elle plus critique ? Le bercement des vagues n’y peut plus rien, elle tonne maintenant, pendant que la cloche de Notre-Dame de la Garde sonne l’appel à la messe. J’ai trouvé ma langue pauvre, pour dire combien les mouettes savent mieux garder le terrain qu’eux. Et cette langue qui parle seule, où la grammaire reste évasive, pour qu’enfin j’avance encore sur la crête de la vague, à proximité des lourds bateaux.

Je ne comprends encore plus rien. Le mystère se referme sur une réalité froide et sans fantaisie. Peut-être va-t-il encore s’ouvrir comme ta boîte à tabac, avec ses fioles de parfums et sa nicotine. L’esprit est ma drogue, mon âme sait le traduire pour qu’il fusionne avec mon corps, pour que je sois l’unique parmi les uniques. Je ne me lasserai jamais devant la promesse tenue, mais qu’il est long le temps du doute, où l’on s’accroche à sa seule certitude : que le jour qui naît est encore pour soi.

Janvier 2012


C’est toi ?

Aujourd'hui, la neige sur les collines qui entourent la ville leur donne un air prétentieux.

Voir l’autre enlève l’orgueil, on le ressent très jeune, on prend alors l’autre pour modèle. Plus tard cela amène une distance et une grande compassion. Les deux termes ne se heurtent pas, au contraire chacun renforce l’autre.

L’espoir de ne plus « m’en tenir là » me réveille. Je veux aller vers le bonheur du mouvement, le balancier harmonieux pèse la durée, des brassées de fleurs pour m’y jeter dedans, comme d’autres vont aux flammes. Vivre les secondes, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois, les saisons, les ans, pour que je puisse encore m’émerveiller de cette langue où le corps, tout entier engagé, travaille par le souffle ma voix rauque.

Encore la nuit. Il a commencé à neiger, mais elle n’a pas tenu. J’ai le trac, comme si le compte à rebours avait commencé : de ma tombe à maintenant. J’ai appris à me tenir à bonne distance avec les autres, mais parfois l’ivresse de la communion, ou l’ivresse de la méfiance ont eu raison de ma bonne compagnie. C’est la souffrance qui fait la différence et rien d’autre. Il arrive à Chômei, dans sa cabane de moine, de douter, mais échangerait-il sa place ? Bien sûr que non. Alors pourquoi ce reste de tourment en moi ? Comme pour Chômei, chaque jour est un jour nouveau, que l’on affronte, même loin du tumulte des hommes, avec plus ou moins de légèreté.

Toujours la décision s’acharne à me réveiller. La voilà qui saute encore sur l’occasion, pour me demander : « Qu'as-tu fait pour toi ? » Mes réponses s’ordonnent alors, qui me satisfont, mais s’annulent dès que je me réveille tout à fait, vide de tout mot, de toute image. Je ne me suis presque rien donné, et ne me suis presque rien pris. C’est ce statut-quo là qui me réveille tout à fait, pour que je me donne enfin quelque-chose. Et voici qu’une nouvelle journée commence, pour me donner, le temps…

Je me suis réveillée du bon pied. En ouvrant les volets, traînées de neige sur le sol. Juste assez pour dire qu’il a beaucoup neigé, juste assez pour marcher tranquillement sur la chaussée. Rêvé d’amis, nostalgie du temps qui passe, qui passe aussi pour les enfants maintenant grands. Nous les cheveux blanchis, avec force, supportons les saisons et les ans. Ce n’est pas pour nous, le fauteuil au coin du feu et la boîte de bonbons sur la cheminée. Je pense que le temps n’est plus à la neige.

Il peut lire sur mon visage l’instinct de survie, par moment je peux lire sur son visage l’instinct de survie du prédateur, et je sais qu’il m’aimerait semblable à lui. Je me suis assez battue contre des moulins à vent, j’ai pris du chat le regard froid de l’ennui. J’habite comme lui parmi nous, par minou, mes actions entrecoupées de longues rêveries font penser à un lac calme. Mon indépendance tient à ce que notre vie commune nous la partageons comme deux fauves.

Avec ce goût de café sur la langue, croire encore, entendre à nouveau le murmure. La lourdeur du sommeil m’a quittée, me laissant des densités moins vives, qui feraient croire à des éclats blancs de cruauté, par ces journées froides. Le pressentant ce murmure, jusqu'à l’entendre dire « crois », comme s’il voulait me rappeler à ma promesse. Contre cet éveil brutal : agir !

J’hiberne pas mal. Je rattrape mon sommeil. Mais il y en a toujours en vrac qui me demande de le satisfaire. J’ai sommeil, sommeil. Pourtant aucun rêve ne laisse trace. Je dors, un point c’est tout. Entre deux actes anodins, je dors. Je tombe dans l’oubli, un moment encore.

Comme c’était léger ce journal lu, que tu aurais écrit sur une autre note, un peu trop grave certainement. Tu ne peux tranquillement cueillir et faire un bouquet, toujours les ennuis sont là : santé, argent… Comme elle était juste cette hésitation : « ça va aujourd’hui, ou cela ne va pas ? » Avant tu t’étais assoupie, tu n’as pu entendre rien d’autre, comme c’est dommage !

Tu ne sais pas, rien ne t’as été livré. Main d’ange, sans bague, tu raisonnes froidement, et ton calcul va vite, il ne manque pas d’humour. Cela te ramène loin, ça avait mûri dans ta tête, la folie, avec le mariage, où tu ne voulais plus d’autre lien que l’amitié. Ce temps où tu courais jusque devant la réalité, pour rattraper tes défauts, être celle qui ne suivait pas les casseroles, loin de cette femme que l’on disait libérée. Tu te voulais autre, tu te voulais réelle, aussi froide que l’âme d'une morte, aussi empressée que l’âme d'une ouvrière.

Là, où est le rêve est l’image, qui nous change en interrogateurs de rituels, tout est mouvant, sable mouvant. L’image seule, qui n’est que regard, qui s’en fout de ma parole, qui demande à être brûlée. Les images qui rendent fou, disais-je avant, les images qui trompent comme trompe le malin : je ne reconnais pas les signes. Des images qui n’arrivent pas à rester alchimie du verbe, où du trépas resurgit la vie — les oiseaux me donnent raison qui piaillent par ces journées froides. L’image se fige, mortifère. L’image de la vie en rêve : le ciel, immense, le cargo peint, tout à ma mesure, où la peur était absente, me laissant là, devant le paysage, j’étais chez moi, seule, taillant dans le ciel, et je trouvai l’homme grand.

Je me suis sentie complètement étrangère. Je n’étais pas quelqu’un d'autre, je m’étais désertée. Je me suis réhabitée très vite. Souvent je sens ma main étrangère. C’est quand je veux m’habiter, quand je m’applique, que je me sens étrangère. À Jean-Pierre je dis « on peut douter de sa main ». Il me dit « tu ne doutes pas quand je te demande : c’est toi ? ». Non, là je ne doute pas, et je te réponds : « oui c’est moi ».

Troquer un plaisir pour un autre plaisir ; sauf en amour, le lit c’est le tien, il n’a qu'une place. Amour vient à deux cambrioler la maison, surgit, rappelle-moi la fougue, ma jeunesse qui naît à nouveau pour me parler.

Février 2012


Impressions du mois de mai

Goût fruité, bouche ronde, je bois du vin frais. Mon nez coule, des arbres, déjà le pollen. Bouche édentée, bouche de sorcière, pourtant curieux sourire. Sortir de la lourdeur de l’hiver, comme un ours, manger du miel.

Elle ne peut plus me recevoir, elle est malade, c’est dingue la vie. Sans dialogue, sans émotion, comme passent ces journées. La vie s’acharne, elle est plus têtue que moi, pour ce qui est de la voie. Je ne m’entendais plus, je perdais mes gestes de travail, insatisfaite.

Je me sens tellement peu que je dois vivre ailleurs, je dois vivre dans la lune. Mon corps est bien là, j’en ai conscience, il pèse son poids, mais il est comme vide. Quant à ma pensée, elle est complètement absente. Par moment je me dis « mais où étais-je depuis toutes ces heures ? ». Et je ne sais où. J’avais remarqué que je m’absentais souvent devant les autres, mais de là, absente à moi-même ! C’est comme un évanouissement, je suis absente.

Et je ne vais plus me bercer de solitude. Je vais laisser tisser les fils du temps, jusqu’à ma belle amitié. La belle, celle où l’on dit sœur, celle qui invente le mélange des sangs. À la vie à la mort. La belle amitié, le temps va me sourire, enfin !

Je suis fidèle tu sais. Je me souviens de tes mots d’amour dans la tempête. Et tant pis s’ils sont dits comme cela, sans grande pensée, juste dans la fraîcheur du matin.

Depuis que je m’inquiète de l’heure et de mon insomnie, le réveil s’est mis à faire plus de bruit. Le tac, du tic-tac paraît plus appuyé. J’écoute, je m’en plains dans le vide. « Jamais je n’arriverai à me calmer avec ce réveil qui retentit dans mes oreilles. Jamais je n’arriverai à m'endormir ». Comme par enchantement le son se fait tout à coup plus doux. Je me détends, et je l’oublie ce réveil ; je mange du chocolat, il est quatre heures et demi.

« Sortir ? » Je n’ai pas envie. Il fait froid, et puis j’ai sommeil . « Et si j’allais promener ? » Me voici à la porte, veste sur le dos. Ce que peut le verbe !

Je ferai ce que je dois faire, et puis je verrai bien. Après bien du souci, me voilà au-delà du souci. Pourtant je veille. Je veille pour suivre ma voix, dans le silence de la nuit, elle est plus claire. Roule alors la terre et la lune, et les étoiles brillent comme des lucioles un soir d'été. Tout roule, je ne ressens pas la peur du vagabond, que l’étrange surgisse, oui, j'ai peur que l’étrange surgisse ; mais quand il reste extérieur il est doux et compréhensif, comme une grande sœur rassurante que je tiens à remercier. Mes cheveux sont blancs, et si je tiens au-delà du souci, ils y sont pour une grande part. Parfois je ris, j’éclate de rire de voir les petits soucis, cela me change les idées, mon recul éclate alors comme de grosses bulles de savon. Dans les bulles de savon je vois l’arc-en-ciel, et l’arc-en-ciel je le vois dans un bout de ciel, et un bout de ciel c’est toujours un coin bleu où je peux me réfugier, et me consoler des misères que le monde me fait.

Comme pour fixer le texte à la page, j’aime les chevilles dans un écrit. J’en use pour que l’action soit insistante, j’en abuse pour que les choses se mêlent et s’emmêlent comme des boules sur une guirlande ou sur un collier.

Et le temps passe, il passe vite, mais parfois une minute met vraiment une minute. Je ne sais que désirer : qu’il passe vite ou qu’il mette son temps. Comme je n’ai pas sommeil, et qu’en plus j’ai bu du café, je ne peux pas me dire « je vais au lit ». Je ne peux donc oublier le temps qui passe. S’il passe vite, je chercherai dans toute ma matinée le sommeil. Pourvu qu’il passe lentement ! La nuit, cela ne fait rien si l’on ne fait rien. La nuit, la moindre action peut durer des heures, alors le petit matin arrive vite. Et voilà, déjà six heures !

Quand l’âme est fatiguée, ça fatigue les muscles. Il faut dormir beaucoup. Mais la plupart du temps les problèmes travaillent tellement en nous qu’ils nous réveillent. Alors nous prenons de la drogue sous ordonnance.

Je me sens désolée, dans le double sens du terme. Sable, bouche sèche, des mots secs en sont sortis indemnes. Soigner ma pensée, en prendre soin comme d’un chant sorti de la juvénile chance que l’on rencontre encore parfois avec ceux qui avancent poing vers le ciel pour attrister le sort mauvais. Chance, chance d’avancer à tes côtés, et toujours cette langue universelle qui a du mal à sortir. J’ai appris à connaître ma part d’ombre, ah, ma pure adolescence, si loin de moi quand la vie m’abandonne.

Obsession rouge, j’occupe ma bouche pour m’en débarrasser de cette bête à la peau dure. La peine est la même, comme autrefois, je m’en souviens. Peut-être d’autres armes s’offrent à moi : l’expérience de mettre bout à bout les quatre bouts de chandelle, celle aussi de se dire « les dés sont jetés ». Quel synonyme trouver à « vie » ? Souffle, lumière. Et à nouveau tout est calme.

Demain je remange de l’amour. Me vautrer dans le bien être. Si ce n’était ma glace, qui me renvoie mon image, je me sens adolescente. Et voilà qu’il est là près de moi, j’avale son sourire, sa parole. Il est là tout près, et je glisse ma tête dans son cou. Nous sommes enlacés, sa barbe me chatouille un peu, ses mots d’esprit sont un délice. Je frissonne de plaisir et sur sa chemise fine, entrouverte sur son fort buste, je vois le printemps refleurir. Il est là, des années n’ont pas détruit mon étonnement de le découvrir tout près.

Dans la nuit vers toi, une pensée… Ton calme si apaisant, je voulais t’en remercier. Ton sang froid a fait fuir nos soucis. Écoute-moi dans la nuit, ma parole a valeur d’oracle, j’aperçois le bouillonnement de la survie. Tes bras m’ont encerclée, quand j’avais froid, ce mois de mai. Rien ne peut effacer ta ferme attitude, je me veux consolante à mon tour, affronter la perfide amertume qui parfois se glisse à nos côtés.

L’avenir n'est pas dessiné, j’en suis à la défaillance. Ce mur, toujours ce mur, l’impuissance du mur d’en face ; y coller une affiche, mais comme un poids que je soulève, je manque d’espoir. Il faudrait un « nous », que ce « nous » ait profondeur de la quête.

Mai 2012


De petits riens

Je repousse le moment du sommeil. Je guette l’instant où les phrases s’imposeront, et me délivreront de l’immense fatigue qui, comme une drogue détruit mon agenda. L’heure va prendre la fuite, mes mots vont s’entrechoquer, comme s’entrechoquent nos verres, quand nous « trinquons » à la terrasse du bar. Et je repousse l’heure d’aller au lit.

Cette preuve qui n’arrive pas, qui me laisse languissante, qui me fait porter le poids de l’inaction. Rêver encore à ce qu’aurait pu être cette nouvelle rencontre, à l’intimité partagée autour d'un verre, avec nos voix passées, présentes et futures. Tu as peut-être raison, l’oubli est là, il s’était tapi dans la distance de ton nouvel accent du Nord.

Une page, une page de ma vie se tourne. M’habituer à un autre quartier, d’autres rendez-vous, toujours me perdre dans la ville. Maintenant, seul le hasard nous fera peut-être nous rencontrer à nouveau. Le temps aussi a sa rigueur, tirés dans sa course folle, nous voici mélancoliques.

Me comprendre pour mieux me faire comprendre. Je ne sais dire merci qu’aux humains. Combien la prière me manque pourtant. Pouvoir dire merci quand je trouve seule ou avec quelqu’un, la solution que je cherchais. Quand je trouve seule et que l’absence de prière me pèse, je dis alors merci dans le vide. Un merci non adressé, une prière pour le vide, pour être plus juste, une prière que je lance dans le cosmos, parce que je ne veux pas de retour.

Faire feu de tout bois. Au lieu de tout compter en temps, le prendre son temps. Rêve éveillée, comprendre ce qui m'anime : c’est toucher au plaisir. Que tout devienne clair, comme un puzzle qui continue, pièce après pièce, à se dessiner. Est-ce que l’esprit parle avant le corps, quand nous savons tant de choses, des plus agréables aux plus désagréables ?

Comment est-ce possible que je sois paumée, cigarette au bec, comme l’adolescente en fugue ? Le chauffeur de bus ne me reconnaît pourtant plus. Les fausses souris pour chat, les boules de Noël, la multiprise, tout cela était donc dans le tiroir près de la fenêtre. Je te dis que je n’ai jamais pris de « grigri » pour faire mes lectures publiques. Alors que, quand je vais dans une administration pour les papiers, j’ai toujours un bout de bois sur moi.

Est-ce que tu crois que c’est la fin de notre civilisation ? Moi, je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut rien faire.

Être à l’écoute, viens, je t’emporte, comme on n’oublie pas de mettre dans sa valise sa veste d’été. Que je me surprenne encore à combattre pour la vie, plutôt que de laisser choir ma santé, comme tant de gens se mettent à penser à la retraite. Ma vie en demande encore des heures, dans le silence. Viens, guide-moi encore sous la lampe de la nuit, écoute bergère, l’animal s'est endormi.

Être fille d’hommes, et douter de la raison. Pour ligne de fuite, pressentir le doute, l’expérience du soupçon. Être fille d’hommes et comprendre les chats, parler aux oiseaux, garder le silence sur tout cela. Le chasseur au repos, entend les sabots des chamois, rêve de tuer, à son tour d’être fils d’hommes. L’humain est fou, ignorant, et merveilleux.

Encore personne ne rentrera dans ma nuit, sauf la lumière de ma lampe, où me visitent les bruits de la maison. Dans ces moments là je me sens généreuse, de cette générosité envers le tout, que remplace la politesse le jour. La nuit mon cœur s’ouvre, et se conjugue à tous les temps.

Comme pour être en avance sur le temps, être hors temps. Ma lampe, l’humaine lumière dans cette nuit sans lune. Sort parfois l’image du rêve, celle qui donne la juste couleur à la langue. L’écriture de la nuit, avec volupté commande aux signes. Je vois passer le temps, le jour déjà pointe, puis ce sera le soleil sur la barrière. Mon « coucou » matinal, heures et mesure, vaut chant de coucou.

Retrousser mes manches avant que mon âme ne se plaigne. Dans ma tête, de petits rien qui occupent tout mon esprit. De plus en plus d’agacements, de moins en moins d’émotions. Devant ma page blanche rester coite : j’entendrai peut-être mon murmure me dire quelque chose à glaner, avec juste le recul qu'il faut pour aimer encore me perdre.

J’avançais dans la chaleur, le pas léger mais le cœur plombé. J’avançais tel un robot, vidée de ma spiritualité, comme les grenouilles mortes, que seule l’électricité fait encore bouger. Il n’y avait plus personne qui comptait dans ma vie, et les Dieux n’habitaient plus les lieux. Seul mon pas était léger, mon cœur était plombé.

Je me sens en paix et quand il en est ainsi rien de mauvais ne peut m’atteindre. Je reçois et je renvoie seulement les bonnes ondes. Rien n’empêche que, là encore, je sois, comme la plupart du temps, dans la lune. Je n’extrais plus le temps des autres dimensions, mais comme il passe !

J’ai plus d’avenir que de passé. Je sens trop que ma vie a encore à se réaliser. Je marche en plein vent avec tant de choses à découvrir, à comprendre. Elle est revenue ma curiosité, je la reçois comme la fille prodigue, avec la plus grande attention.

Parfois j’ai peur. Ma peur, lourde comme du plomb, à supporter a la saveur du doute. Elle passe vite en moi mais me laisse un goût amer.

Juin 2012


Dans le silence

C’était un des miens, on s’est dit adieux aujourd’hui même. Personne n’a compris mon émotion. On m’a dit « c’est la vie », ou « tu ne vas pas pleurer là ». Je suis pourtant de chair et d’os. Pourquoi la vie est si schizée ? C’était un des miens, et je sens la douleur de la perte. Oui, c’est la vie, oui, je vais me retenir de pleurer en plein bar. Votre dureté, n’est que votre impuissance à trouver les paroles que l’amitié ou l’amour trouve naturellement.

Tant de fois j’ai porté le fardeau de la peine. Me voici à nouveau étrangère, je ne pleure pas. Peut-être je ne réalise pas encore. L’instant. N’empêche mon âme est creuse, et n’y résonnent que les pas de la survie. Je ne suis ni triste, ni gaie, me voici absente à moi-même. Je suis un automate, assise à ma chaise, ne trouvant pas les mots que je cherche. Misère est un mot qui habille, oui misère, affection de pacotille : nous restons seuls si peu de temps.

L’antre de la nuit, fraîche et accueillante. Personne ne me dicte ma loi. Tout dort, le temps ne me mange plus, c’est moi qui le dévore avec la magie des signes. Une voiture passe, fait crisser ses pneus, et les mouettes annoncent déjà le matin.

Mes lèvres tremblent… Ma langue aussi. Qu’as-tu à dire de si urgent ? Allez parle ! Tu étais bien, tu partageais un moment avec lui, tu lui demandes de rester encore un peu pour voir ensemble tomber le jour. Il te répond horaires. Seule tu bois encore un café, un de trop. Comme le temps fait souffrir ! Bien sûr il y a tous les soucis. Tant de soucis !

Yeux grands ouverts, folle d’attentes, impatiente de l’acquis, dans cette nuit d’été où glisse la lune ronde.

J’aimerais accorder mes voix, remettre de l’harmonie dans cette dissonance. Si elles pouvaient se mettre au clair, j’aurais une autre estime de moi. Je veux naître à nouveau à la langue, comme si de la rivière je passais à la mer. Je savais et je ne sais déjà plus. Désert, désert d’eau, tu ondules, comme le sable dans le tamis, inlassablement tu ondules, creuse le silence ton bruit.

Quand je vois le regard que portent parfois les chats sur nous, je me demande s’ils se disent : « il ne leur manque que le silence ».

Ce soir, ma maison me sépare de la nuit. Lumière trop blanche de l’ampoule, murs blancs, rien qui ne lui laisse place, tout qui enlève la douceur de la nuit. Nuit d’attente virile, où l’on guette la levée du jour pour commencer le combat. Moi aussi je suis en attente : c’est la chaleur de ce jour d’été qui m’enveloppera de silence, et ma promenade ne sera pas longue, elle me conduira au jardin de la Colonne. Nuit virile, où la maison est armure, où le combat se mène, la nuit veut rentrer, la nuit veut me prendre.

Et ce passé qui veut rester présent, qui feint d’ignorer ma peine, me laisse souffle coupé. Avec mon corps de lianes j’ai voulu t’enfermer dans mes bras pour ne pas être quittée à nouveau. Cette peur m’a fait prendre de mauvais plis, tant d’années qu’elle me sculpte, ce présent alourdi par tant d’authentiques fantômes. Me reste à défaire les nœuds. Tant de serpents si vivants dans ma mémoire, qui nie le temps écoulé. Vivre le moment, me chuchote ma plume, l’énergie de mon cœur.

Boussole qui s’affole, mon vertige rapide comme l’éclair, mère est morte. Elle est partie quand la nuit entoure, furtivement vers minuit, elle a laissé tomber le temps du dedans de son esprit. Maintenant, dans quel pli du temps est-elle ? Elle avait pris la religion de sa nourrice, avec sa Vierge qui apaise les enfants abandonnés.

Quelle ne fut pas ma surprise, quand de la boîte de tisane, sortit un papillon.

Bonjour Monique, je n’ai pour ainsi dire pas dormi, et rien ne fait. Tant pis, ce sera pour une autre fois. Prendre ce qui passe, même le rien. Peut-être lui aussi sert-il à quelque chose, à une maturation qui fleurit dans notre jardin secret, à l’abri du jugement, vierge de l’impureté de ce que l’autre en pense. Vierge, blanc comme la chemise d’été, à manches longues, des intellectuels du tiers-monde. Ces petits riens à côté de l'ampleur de l’aventure… il y a quelque chose derrière la brume marine, des états d’âme qui susurrent, l’esprit prêt à surgir, comme un imprévu qui remet en question le temps qui passe, qui joue le moment où l’on « trouvaille » Quel espoir enfle encore en moi, en d’autres, presque sept heures, et je n’en ai encore rien dit.

Tu dors… et moi je veille, mon esprit volette, il ne s’arrête sur rien de particulier, le moment passe inlassablement, tout n’est que secondes, et mon cri n’a pas le temps de sortir de ma gorge que déjà je pense à autre chose. Me révolter, me jeter dans la nuit, guetter l’homme, le seul qui me dirais « n’aie pas peur je suis là ». Mais comment croire encore, ces paroles volent vers d’autres yeux, plus ouverts vers l’espoir, moins attendris par la gentillesse, les félines plus tournées vers le geste, que les mots. Combien attendent que leur cri prenne sens vers d’autres poings levés : qu’au moins le jeu vaille la chandelle.

Août 2012


Plis et replis

En sa compagnie j’oublie mon corps, je suis pur esprit. Tu ne peux savoir combien ça calme et combien les mots sortent plus librement, combien la communion avec l’autre est céleste. C’est drôle, je ne le connais presque pas et je dis cela, c’est de cette façon que je te le décris.

Je n’ai pas pu, de mes deux mains, saisir le temps. Il a coulé entre mes doigts comme un voleur de qui je serais aux trousses. Je flotte, séparée des autres, je cours après le temps. Souvent, je le laisse passer sans bouger, mais alors, même l’instant me devient étranger. Et quand tout est étranger, je deviens étrangère aussi. Et ça fait mal d’être étrangère à sa vie.

Je flotte au-dessus du plancher, sans être dans les nuages pourtant. Ni dans, ni hors rêveries, et comme ça dans ma tête, je me dis qu’il me semble que le temps depuis que je l’ai connu, est plus long que je ne le pensais. Cette sensation me laisse rieuse, car les tours que me joue le temps ne m’agacent plus.

Il est parti avec les longues heures, pleines de soleil, pleines des senteurs de pin qui se dégagent dans la colline. Mon après-midi s’étire, a épuisé les heures lentes de la sieste. Je m’éveille, heureuse, comme si commençait un jour nouveau, mais ne dure qu’un court instant ce bonheur de magicienne, l’attente à nouveau me ronge. Je me ronge d’attendre. Une lame de fond tient bon, enfouie en moi, elle balaie l’amertume.

Un petit diable m’a fait découvrir la cachette. La cachette à alcool. Je bois en riant.

Chère, mon cœur se console au vent iodé, son murmure me donne le recul nécessaire pour œuvrer, pour aller de la sensation au sens. Comme la vie marque de son sceau les anciennes chimères, quand le temps si irrégulier a donné à notre chevelure la blancheur du lait. Pour moi, un passé reste dans le souvenir. Parmi les jeux d’illusions, il m'est arrivé de dire : « la vie est belle », oubliant les maux, qui m’ont plongée si souvent dans la misère. Mais comment renier la vie, alors que l’île offre fruits exotiques et coquillages.

Qu'est ce qui me tient figée à ma table ? Après des heures de souffrances physiques, je reprends courage. Qu'est-ce qui m'attire hors de moi et des autres ? Je me meurs. Je réagis toujours trop tard. Ma faiblesse de volonté, m’empêche d’agir. Et voici que je me mets à souffrir encore. La feuille humide sur la pomme, c’est l’automne. J’en parle à peine maintenant, alors que cela fait des jours… En attendant elle a jaunie la pomme, elle est plus tendre à croquer.

Demain déjà vendredi ! Pourtant encore un jour « à la con », sans écriture, avec son lot d’absences, d’attentes, d’encouragements… Vaincre me laissant dans un pessimisme froid. Attendrie, je vois les blessures de l’âge, sans plus rien comprendre à ce que je pensais pouvoir expliquer. Ne pas trahir le vivant, avancer sans l’abandonner.

Mon corps parle, il hurle ma terreur.

Et toi, quand je me perds, tu me fais parler de mon chemin.

Tes questions quand je m’y attends le moins, me surprennent parfois. Me surprennent parfois mes réponses.

Le paroxysme de la souffrance s’oublie. Restent les gestes qui énervent, parce qu’ils lancent.

Vieille-jeune, mon corps demande sagesse, alors que moi jeune-vieille je réclame la force et l’endurance.

Lentement le temps passe, dans la fraîcheur du petit matin, frôle mon éveil. Frôle aussi mon envie d’arrêter le temps, l’envie de mourir, mais très vite la peur d’arrêter le jeu me ramène à ma vie. Vis, console-toi, console ton présent.

Un buisson d’épines a poussé dans ma ville. Avant, les églantiers parfumaient mon cœur, avant je ne voyais que les fleurs. Lointaine promesse, âme alourdie, ville ogresse. Ville qui joue la même familiarité au passant d'un soir, ou d'une vie. Ville fantôme, qui a fui la réalité de ses avant-gardes. Ville sans couleur, perdue dans le monde.

Bleu marine, boules d’algues, les incessantes vaguelettes. Les cheveux frappent le visage, le soleil frappe aussi, réchauffe trop dans les vêtements d’automne. Incessantes vagues… J’aimerais te repousser au loin avec tes oursins, mer, rester sur le sable, parmi les algues, les coquillages et les roches blanches.

Je suis de nulle part, même pas de ce cabanon d’où j’écris. Mon esprit est ailleurs, je ne sais où. Quand tristement je m’assoupis, quand la lumière du jour ne frappe plus mes yeux, quand je me mets au lit comme d’autres à l’ouvrage, je suis en-deçà la vie et la mort. Je me combats aussi bassement que le ferait un ennemi.

Séjourner dans un temps en pleur, l’espace qui scande mon rejet : j’ai le cœur gros. C’est dur, c’est dur cet espace hostile. Séjourner dans cette fin d’automne contre les ombres, avec mon cœur gros. J’ouvre le livre, frère errant qui témoigne encore de l’histoire, des plis de l’âme et du temps.

Automne 2012


Ma douleur

Il suffit de se concentrer, il suffit de tomber dans sa douleur. Répit enfin. Très vite j’ai envie de bouger, de faire autre chose que rester dans ma douleur. Voilà qu’elle se réveille à nouveau, puis se rendort tout doucement. Je la sens dans la profondeur de ma chair, je n’ose presque plus bouger. Je me réjouis, mais voilà qu’en un éclair… non, elle ne revient pas. Ce n’est pas comme en fin de journée. Un peu de paix !

J’ai usé le temps, je l’ai usé dans ses moindres recoins. Voici encore de la brume qui me cache la ville. Mon corps coule, la fatigue se retire ; j’ai traqué la douleur avec assiduité. Même le cauchemar vaut mieux que cet endormissement éveillé. Pour pouvoir encore en appeler à la couleur, le rouge, le jaune, le vert de l’automne, laisser passer les heures. Je n’entendais plus les mouettes depuis longtemps.

Dans les plis du temps, suivant son caprice, mes souvenirs s’approchent ou s’éloignent. Parfois, le même jour, le même souvenir vieillit ou rajeunit, à des années près. C'est bien ce que je trouve le plus troublant. Vie contemplative, pensée qui va à la vitesse du papillon.

Un soupir de plaisir, dans ce grand calvaire qu’est la maladie. Ici pas de fièvre. À part quelques médicaments, on tient en paix l’ombre qui passe dans des prunelles mortes. Le sommeil ne passe plus, je me souviens du cauchemar sans fin. L’éveil, et la peur qui jouait avec mon cœur à la balançoire. Et, où manger n’avait pas sens. Ma seule boussole : l’amour que nous nous portions. Mon amour, tant d’années où tu as tenu bon !

Plage de temps, éclairée à la lampe de chevet. Lourdeur du corps, âme qui a fermé l’écluse de l’éveil. Je me suis remise à fumer, à lire, et j'ai trouvé du Dieu là où avant je n’avais trouvé que de l’athéisme. Mon sang coulait moins épais dans mes veines, je ressentis mon esprit se raffermir. Une qualité dans le calme intérieur, je n’étais plus une automate.

La nuit, quand on croit encore au poème, tendu comme une prière vers le ciel immense, la nuit, quand nous reviennent en échos nos fausses rimes, quand notre âme dort, que notre esprit, vif comme le petit jour, nous alerte comme le chant de l'oiseau, alors ma vie est encore devant moi, ample comme ma robe de velours, et garde la couleur violette du matin.

La nuit, quand roulent les heures, en couches épaisses sur mes paupières que heurte un rêve, et ma joie du souvenir, se dissipe la misère qui tombe sur tout homme quand la craie ne sait plus tracer le mot futur.

L’ombre qui s’allonge de la roche et habille la chaussée, pince mon cœur, contient de la joie pourtant, pour cette saison entre chaleur et froid. Et l’odeur d’humus des feuilles mouillées sur lesquelles je marche : je suis heureuse de cet air frais, de cette tombée de nuit qui alourdit mes épaules. L’amertume de boire un café au bar, la fin d’une journée ou rien de particulier ne s’est passé.

La nuit, pour moi, était une présence bienveillante, gardienne de mon verbe et de mes gestes délicats. La chambre et la cuisine gardaient mes errements. La nuit mon esprit s’étirait, je m’y délectais, je m’y régalais. Parfois tremblant un peu d’y voir des signes que je poursuivais, moi, dans la vie parmi les objets.

Même si par moment je me sens sous les coups bas de la vie, en réfléchissant un peu, je me sens protégée par l'invisible. Un jour j’ai failli tout perdre, il me resta fidèle.

Instants après instants, mémoire qui guette le corps. Corps blessé, instants après instants.

Je sens mon corps engourdi ; à arriver, le jour traîne des pieds. Il n’y a que les oisillons qui chantent bien avant le levé du soleil. Ils m’aident à communier, ce qui enlève du poids à mon tourment. Pensant et prenant soin de moi, j’aimerais arriver à déposer ma signature sur ce nouveau jour que j’attends.

Entre ce qui s’explique et ce qui ne s’explique pas, il n’y a pas un monde, car cela se passe dans le même univers. La maison m’est devenue hostile, j’y use ma veille. Mon attention prise par des chimères, m’enlève tout plaisir d’abandon. Même mon cahier me devient étranger. D’un côté un corps vide et pourtant si lourd, et de l’autre un esprit qui saute du coq à l'âne, s’hypnotise en répétant les deux seuls mots écrits : « plaisir » et « certitude ». Sortir, marcher dans le déchaînement du vent et des vagues.

Tu te projettes dans un abîme qui abolit le temps. La bouche de la nuit avale ton attente. Enfin le doux froissement des heures de solitude, où tu aimerais retrouver les Dieux qui tiennent les lieux. Apprivoisés par la beauté, tes gestes s’assouplissaient, tu y faisais de féroces lectures. Ah, le doux frémissement des nuits de veille, l’hiver dernier ! Dans ce souvenir, un seul point sombre : la douleur avant que la volonté ne te gagne.

Aujourd’hui tu n’as dit ni bonjour, ni au revoir à l’aube : tu ne l’avais pas quittée.



J’aime l’hiver, cette saison bénie. J’aime me blottir dans ses nuits longues et froides comme les yeux d’un chat. Ces soirs là, quand je mets mes griffes sur les instants, j’aime être sous le regard de l’invisible.

Décembre 2012


Le sanglot

À mon souvenir triste, vous avez mis un éclat de rire. Il retentissait, pour faire que la vie m’aime enfin, bienveillant. Car votre rire était la bonne réponse : il mettait une barrière entre mon ancien malheur et le présent.

Esprit caché, où la volonté est toujours de la puissance. Coïncidence de la pensée et des choses. Être bien dans ses murs. Pénombre, la lampe n’éclaire que le bureau. Vieux pull sur pull, contre les morsures de l'hiver. Ces mois-là, chacun sa nuit, nous ne nous rencontrons pas dans la cuisine, Jean-Pierre et moi. C’est en fin de journée que nous passons ensemble de tendres moments : à marcher, lui, à prendre des photos, café au bar.

Ma volonté s’épuisa vite au fil des jours, et ma puissance se retira. Je me suis vue mourir, peu à peu, à ma volonté.

Dans l’eau, profonde et claire, mes joies me portent. Mes souffrances taillent profond dans ma chair chaude. Et parfois, désertée par l’esprit, comme piquée au formol, mes yeux lissent la surface des choses, glissent, ne peuvent s’arrêter. Je ne suis plus qu’un miroir sans tain, où de sujet je deviens objet. Pour qui refléter la beauté du monde, sous la pâle lumière lunaire ? Mes appels ne portent pas, moi et les objets restons muets. Heures creuses où même la mort ne parle pas.

Je suis ta principale pensée. J’écoute le rouge-gorge de ton souffle, j’écoute les rivières et les torrents de ton ventre. Enfouie, contre toi j’écoute. J’écoute le craquement de tes os, la combustion lente de la bûche noueuse qui s’étouffe. Quand je te regarde, je vois le temps, j’aime la pagaille dans tes cheveux.

Comme si de ne pas reconnaître ma main, c’était une sortie de l’âme. Quitter son corps, mais plutôt qu’une paralysie, tomber dans l’espace infini. Vertige, je reviens, je m’habite à nouveau. Autant s’occuper du monde, dont il m’est arrivé de tomber dans le ciel, là où mon combat se mène. Je suis si fébrile par moments, même si un rideau me cache l’horreur passée.

Tatouage sur le corps, transhumance dans le bus. Elle va à l’abattoir. Elle tremble de tous ses membres. Nous serons éternellement des fils et des filles. La jeunesse fonce, si elle se décourage, elle fonce dans le tas. Sur l’autel du sacrifice il y a aussi de vieux sages. Ta peur est bien réelle : t’évanouir dans l’objet, devenir l’objet. Tremble, tremble, ta vie t’a été donnée à ce prix.

Abandon vif, joie qui monte en moi, je me laisse entraîner. Tout retombe, je ne sais d’où surgissait ce ravissement, ni pourquoi il me quitte si vite. Chagrinée, je me dis que je n’arrive plus à être heureuse. Réalité où manque sa dose d’actions, ou mes mots que je ne trouve plus. Quand reverrais-je le paradis ?

Je n’ai plus de temps à perdre avec mon passé. Du neuf, ce grand rien clair dans ma poitrine, vidé de toutes méchancetés. Joyeuse santé, après tant de souterrains à parcourir, où mes ongles se cassaient aux parois de pierres. Enfin comme un papillon mon regard se jette sur l’ampoule. Je veux vivre encore la vraie vie, mais que quelques années de plus ne remettent pas en question ce qui fut déjà vécue.

J’aimerais me rétablir, je m’écoute le dire. Résonance en moi, sans réponse pourtant. Ça me parle, mais je ne sais plus par quel bout prendre le problème. Il est là depuis tant d’années, j’ai pris tant de mauvais plis. Y aller petit à petit, aller à mon rythme. Faire de la randonnée, plutôt que de l’escalade.

Le rêve : une inquiétude, sans grande inquiétude. Puis la journée se passe, le souvenir revient, me reste aussi l’ombre de sa voix. Nous avons pu si peu. Que d’interminables silences, entrecoupés de paroles dîtes vite, sans attention. Elle ne m’a jamais prise dans l’ombrage de ses bras. Elle m’a laissée grandir, sauvageonne, dans mon mystère.

Du passé, aucun fardeau à porter. L’opacité du futur, où chacun veut fuir sans bruit avec son pauvre argent. De troubles pensées accentuent le sombre. Joues fraîches, piquées par les embruns, je regarde les mouettes, qui plutôt que d’aller se nourrir à la décharge se remettent à pêcher.

Un jour, le jour s’est levé pour moi aussi. Il me manque un brin de folie. C’est pour cela que ma folie est immense. L’aurore s’étant levée, je m’aperçus que j’étais déjà vieille. J’ai laissé le jour pointer en moi, j’ai pleuré de joie, tellement j’étais grandie par cette aurore. Puis la nuit revint. Je m’amusais à être seule avec la lune. La lunatique boule opale apaisa mes nerfs. Elle changea mon caractère, elle me donna le brin de folie qui me manquait.

J'ai attrapé le mal des anges, mon âme me fait mal. Tant de mortes journées, quand je laisse tomber la joie. S’effrite entre mes mains le courage, qui peut aussi bien me faire tenir droite, que m’apporter le bonheur d’être en harmonie avec la vie. Laisser glisser le soir sur mes genoux.

C'est aussi cela être en vie : avoir mal, mal…

Pensées éparses. Je bougonne devant un café. Souvent combattante, parfois en paix, tournée vers le futur, je pose les ans passés. Ne plus être attentive à la peur, laisser fuir les anciennes tensions, comme une chatte, avancer à pas de velours. Murmures et douceur, dans l’instant passe un ange qui nous unit.

La fatigue lui tombait sur les épaules. Parfois un court soupir se terminait par un sanglot, qui voulait sortir comme un hoquet, qui roulait dans sa poitrine. L’enfant se demandait si sa mère souffrait. Mais aujourd’hui qu’elle a le même sanglot que la mère, elle sait qu’on ne ressent rien, peut-être comme un soulagement quand ça roule dans la poitrine. Alors qu’enfant, c’est là qu’elle croyait que la mère avait une très grande peine. Ce n’était pas le soupir non, elle le connaissait, et le sanglot ne fait pas mal quand on est adulte. Par contre quand la fatigue lui tombe sur les épaules, elle sait maintenant, tout le poids que portait sa mère.

Je me suis révoltée contre la mort. Aujourd’hui je l’accepte comme un dernier élan de vie. La disparition est une toute autre chose. Elle reste magique pour moi. J’ai peur qu’il disparaisse, comme ça, d’un coup, sans prévenir. Je ne veux pas le quitter. Moi aussi j’ai peur de disparaître, de disparaître en pleine foule. Fondre sous le soleil. Fondre, me répandre comme un liquide. Le ciel vide de père. J’ai eu quelques lâchers-prise en pleine ville, et c’était jouissif, toujours sous le soleil.

Février 2013


Dans la nuit

Le sommeil était dans le rêve. L’été assombrissait la peau. Pendant que les gestes des vieux s’alourdissaient, ceux de la jeunesse devenaient plus rapides ; leurs rires criards pénétraient les corps.

C’est mon âme qui allait vite. Elle tombait dans l’ombre, pourtant j’étais comme un bout de bois incandescent que guettait la mort. Effrayée, brûlant les instants, je parcourais l’espace, étouffant mes plaintes.

Je sens le vide des mots, pourtant si pleins quand nous savons les utiliser. Mes mots n’enjambent plus, ils font des sauts de puce, ils veulent me faire flâner. Comme ne voulant plus partir, je reste collée à ma page blanche, traînant chaque mot, loin derrière ma pensée. Pluie d’anecdotes que je laisse courir. Chut ! J’aimerais entendre la voix, celle qui est sensible à mon écriture, celle qui aime approuver quand attentive j’écoute ses conseils.

L’amour est un mirage que j’ai vu passer dans les nuages. Heureuse, je promenais dans la foule, je fleuris la maison. J’avais oublié qu’il y a des caves avec leurs revenants parmi l’odeur forte de pommes-de-terre germées. J’ai lutté, longtemps, longtemps. Aujourd’hui que la neige est tombée dans mes cheveux, j’ai trouvé un calme bienveillant.

Je ne parviens pas à tomber dans l’espace, je flotte. Flottement de mon esprit aussi. Je suis dans ma cuisine, je n’arrive pas à faire corps avec les objets qui m’entourent. Je n’arrive pas à faire corps avec mon corps. Pour me calmer de cette extériorité je me fais de la tisane au miel. Toujours pas consolée, je tente du café bien fort. La musique du frigidaire, puis celle de la chaudière, me réconfortent dans ma tentative d’habiter le lieu. À l’écoute, voici que le bruit mécanique du réveil m’énerve, me presse, affole les instants. Il n’y a plus que ce tic-tac qui me tape sur les nerfs. Je rêverais d’entendre le doux « ronron » d'un chat.

Tu restes si près, pour aller si loin avec lui. La confiance en ta parole donne de l’intensité à ton aventure. Tu vas de l’avant, comme quand tu as noté son nom sur ton agendas. Tu penses qu’il te reste encore du temps et du plaisir à grignoter la montagne de la connaissance.

La souffrance se retire de mon corps. Des larmes sèches ? Non, décidément je n’arrive plus à pleurer. Tout mon être tend à retrouver la délicatesse. Des pointes aiguës de douleur se font encore sentir, et je sais qu’à mon âge tout ne fera qu’empirer. C’est bien ce qui me désespère. Ne suis-je pas debout pourtant ?

Vois, comme la lune veut me garder avec elle. À elle je confie ces bouts de vie, perles lumineuses de curiosité. D’intimes douceurs a la mémoire de cette amie fidèle. Ma plume cesse de vouloir dire. Lune, plume, laquelle est la plus belle, la plus rebelle ?

Comme si je me vidais de mon sang, la peur, tapie là dans mon ventre. Mettre des mots sur ce futur sans futur, sur cette peine dans l’instant. Je pense au cri, celui où je dessinais enfant mon destin d’adulte, celui qui eut valeur de pacte. Le cri, ce désarroi, cette folle promesse, croyant partir dans ce cri, pensant qu’il allait m’emporter. Aujourd'hui j’ai envie de crier au futur : « Sois meilleur avec moi . »

Est-ce sa jeunesse qui me fait tenir un bavardage si enthousiaste ? Je lui parle du rêve, celui dans lequel je me tenais en éveil, pour les mille petites et grandes choses. Des gestes de déesse, le rosé frais, la lecture, et la nuit qui prenait mes mots jetés sur la page, phrase après phrase. Sous le regard des Dieux j’œuvrais. Parfois la volonté aiguisée me faisait mal avant d’agir. Aujourd’hui je me trouve comme une feuille d’arbre, rainures pleines de sève, plaquée au sol : c’est mon automne. Je mourais séchée dans une page de livre.

Toujours de garde, la nuit… je n’arrive pas à me laisser aller au sommeil. Sourdement mes genoux me font mal, et font prisonnière ma pensée. Ils la ramènent dans un coin reculé, où vit le chagrin de ma vie, entouré de nerfs noués, de serrements de gorge, de tressaillements du cœur.

La nuit je garde le secret de cette parole jetée, où sourd la rumeur des âmes. Parfois avec l’amie nous nous ressemblons comme deux gouttes d’eau.

Je voyage en moi, nostalgie de l’harmonie avec le tout, je voyage à travers le temps. Tout est dépôt de l’esprit, l’ensemble vit, comme travaille le meuble en bois qui craque. En union nous voyageons sur un ciel devenu calme. Tout parle, et seule dans la maison, je parle fort. Je dis le froid et le chaud, je dis mon ignorance du dogme. Quand se lève le matin je respecte le chant des oiseaux, j’écoute d’une oreille attentive. Dieu s’est toujours tu pour moi, comme embarquée dans un vaisseau, je faisais corps avec la Terre.

Quand la ville s’est tue, quand le soleil a avalé ses dernières ombres, je m’éveille avec la lune. Comme elle, parfois pleine, parfois vide, je suis changeante. Je me veux naissante chaque jour, je me veux toujours croissante au souffle de la vie, et pleine à chaque nouveau poème.

Mai 2013


Sautes d’humeur

Parfois, elle avait tellement peur d’être seule, qu’elle s’agrippait à qui était à portée de sa vie. Elle vidait l’espace de tous ses objets pour ne trouver que l’humain. Dans la conversation, elle ne mettait pas sa touche, elle abandonnait l’autre. Elle laissait mourir l’action dans les volutes de fumée. Elle disait alors avec brutalité : « je ne m’aime pas ». Petit à petit elle abandonna le monde, elle se protégea. Enfin elle finit ses deuils. Quand il se fit paix en elle, elle se dit qu’elle avait perdu beaucoup de temps, et qu’elle s’était fait des cheveux blancs. C’est tout.

La poudre à récurer a allumé des reflets sur les casseroles et les carreaux de la cuisine.

Pour l’eau des épinards, je fais le geste de soupeser le gros sel blanc.

Épaisse, à gros carreaux, dans la panière avec le pain, la serviette de table.

La vieille couronne mortuaire, délavées ses perles roses et violettes, pour me faire un collier.

Un moine passe devant ma cabane. Encore plus retirée que lui, du monde.

Je ne suis plus habituée, la nicotine me soulève, esprit éveillé.

J'ai laissé passer les heures, et maintenant ça m’est difficile, et maintenant ça m’est égal. Je n’ai plus la fougue des premiers moments. Me pardonner, me pardonner de me malmener. Partir sur autre chose, ne pas laisser tomber l’instant dans le temps, m’aliéner dans l’agir. Oublier le temps tellement il colle à l’action, tellement il colle à mon corps. Me perdre tout en conduisant mon art, comme Séléné avec son char tiré par un bœuf.

Tu avais assez fait. Tu ne lui donnais plus que ce qui était dans tes forces. Ta maladie t’avait grignotée petit à petit. Si peu d’air ce mois de juillet, nous étouffons sous le poids de la chaleur. Te voici sous d’autres cieux. Les anciennes maladresses disparues ont fait place à la lourdeur. Pourtant la charge est moins insupportable. Attendait-il que ta colère sorte ? Apparaître, surgir, l’étonner. Quand la conversation se fait intense, savoir la robustesse de ton âme.

Ta voix fuyait au loin, comme si tu ne voulais pas que je rattrape ton émotion. Des brisures, tes mots rigides qui se voulaient maintenant désinvoltes, tes mots, comme pour faire un pont avec une pensée positive, nous laissaient dans des silences glacials.

Laisser là le temps ! Partir sans passeur. Pour tout guide, des émotions volontaires ; des signes plus que des images, comme les flammèches de ma tunique éclaircissent mon visage.

Accepte de laisser là le temps. La force de l’éros t’emporte dans un dépaysement que tu ressens par tous tes pores. Va, cours, le temps toujours est là.

Rêve de guerre, dont un garçon pourrait dire « rêve d'aventure ». Maintenant c’est du corps-à-corps la lutte qui se joue dans mes rêves. J’y suis courageuse mais en même temps prudente. Pas casse-cou, j’y passe les épreuves, très physiques, éprouvantes de vertiges, de sang-froid. Je n’en retire aucune gloire, dans le rêve, comme au réveil, tout m’apparaît très naturel.

Tard dans la nuit, en ombres chinoises, je joue avec le mur. Puis l’orage a occupé toute mon attention. J’ai même eu peur tellement ça tonnait. Heureusement que je ne voyais pas les éclairs. Dans la journée les cigales s’étaient tues. J’avais regardé dans le petit pot l’état du sel pour évaluer le taux d’humidité. Maintenant le jour se lève, la pluie s’est arrêtée, le ciel reste menaçant. L’orage reprend de plus belle. Comme le son de la cloche paraît discret par rapport au vacarme du tonnerre ! Les voisins s’éveillent. Je bois de l’eau par gourmandise.

Combien de fois je me suis assise, au pied de mon lit, pour penser à ma condition d’humaine. Je n’y ai trouvé que pâleur, impressions animales ; mon âme aurait aimé cracher sur le poids de la fatalité. Saut après saut, j’atteignais la terre ferme. Je retournais regarder les tableaux noirs pensifs.

Que m'as-tu dit dans le lointain de la nuit ? Dans les nuages, j’étais à défaire mon énervement que le hasard de la journée m’avait amené. Tu as si vite filé entre mes doigts, me laissant seule dans la moiteur de l’obscurité. J’errais dans le sommeil, comme erre un chien abandonné, toujours à la poursuite d’une caresse. Le jour ne m’amène pas plus de certitude, je rôde dans la pensée à la recherche d’une porte où enfin l’éternité m’habiterait.

Pendant qu’il est encore temps, plonger dans ce qui fait une vie d’homme.

L’agoraphobie est une anorexie de l’espace : on ne veut pas manger de l’espace. Par contre un caractère contemplatif est une boulimie du temps : vivre chaque temps morts.

Un jour quelqu’un m’a confié qu’il passait son temps à faire « des temps morts » , comme tout arrêter pour fumer, prendre un pot, rêvasser, cela des journées entières. Il était captif du temps. Il me disait « c’est comme si je ne je ne devais jamais revenir à la vie si j’agissais ». Il était accroché au vide du temps.

Mon corps enfin ! Lui, de nulle part dans la douleur… Mais là, assise, comme une ouverture dans le présent : intime, et entière sensation de bien-être.

Être loin, l’esprit et le corps dérivant, toute occupée à taire la souffrance. Je masse ma jambe avec de la pommade à l’odeur d’éther.

La douleur me masque. Elle ne me fait plus toucher terre. Elle joue le corps-à-corps. Le quotidien disparaît. L’épreuve devient prière. La litanie pour noyer la souffrance. La litanie scande, pour seul rythme. Après la visite du docteur, un autre rythme s’ajoute : celui de la prise des médicaments, qui avant de les faire disparaître estompe les maux. Quand le tumulte de la souffrance finit, j’habite alors mon corps entier, c’est reposant.

Comme si je ressentais la respiration de tous mes pores, comme des millions de chatouillements, le dedans effleurait ma peau ; j’étais baignée de ce délicieux plaisir. Je n’étais plus que ce surprenant plaisir. Tout était battement de cet immense frisson. Je me suis demandé d’où venait ce bruissement de mon corps. Je me suis demandé comment sans être pénétrée je pouvais ressentir une jouissance plus forte. Tout s’est éteint en moi. Je me suis assise sur mon lit, pieds nus sur le carrelage froid. Je me suis sentie bestiale et malheureuse de mes maladresses.

Je n’ose t’écrire que je mouche, que je mouche. Je n’ose toujours te parler de ce corps « âmer », car il doit bien y avoir de l’âme amère là-dedans…

Je suis comme lavée par le rêve. Mais quel était ce rêve ? Bienheureuse je ressens le pardon. Maintenant que mon eau est claire, quand je me souviens, je me souviens.

Fin été 2013.


J’ai mis mon cœur entre deux feux

Voix dissonantes, qui me filent le blues. Voix venues d’ailleurs, lointains échos, qui tentent de mettre à mal la plus simple morale. Éthique qui se greffe sur ces voix, surmonte le naufrage. Voix libres de tout support, qui glissent, qui rejaillissent. Le chant de l’oiseau me sort de ma torpeur.

Brume dans mon corps, éclairs dans ma tête, comment être attentive ? Jouer le jeu, laisser les mots éclater comme les marrons sous la braise. Mon chant est sombre, que serait m’en sortir ? Aller, aller, vivant la chimie de la marche et du verbe. Doucement soulever le voile qu’affiche la foule, hasard de la rumeur, volutes de ma cigarette, aller, aller.

Demeure familière où traînent châles aux franges sombres et livres amis. Dehors la bourrasque, attentive j’écoute le silence de la maison. Là où miroitent les âmes, les âmes presque se taisent. Aussi furtives qu’une tombée du jour, cette figure d’équilibriste où futiles et pourtant primordiales, comme un corps qui s’abandonne après un long effort… alors, les âmes presque se taisent.

Elle marche à pas de loup, comme une immense vague qui me submerge ; elle se noie mon âme. Ma spiritualité passa du clair à l’obscur. Tant de désolation dans ma pensée ce dernier mois, tant d’incompréhensions qui m’ont mise en porte-à-faux, ombres errantes qui me traversaient comme des songes maladifs. Délicatement, me remettant à faire des actes quotidiens, le courage revient.

Implacable voie, de temps en temps tes larmes sèches bousculent ta raison. Raison qui laisse libre cours aux robustes prières, faites d’images de montagnes et de rivières claires. Tu cherches, tu trouves : pour les meilleurs vœux nous nous sommes souhaité beaucoup de liberté. Dans ton expérience, la vie alors prend naissance sur ton rêve.

Par moment tu as un regard noir, qui part au loin profondément. Oh, petit enfant qui meurt de faim, lui, son regard creusé dans l’os. Nous ne sommes que des squelettes, habillés de chair, je suis déjà ce squelette riant. Tu reviens vers moi, ta pensée tombant dans mon orbite creuse ; c’est ma mâchoire maintenant qui signifie mon fou rire. Je n’ai plus que tes yeux pour voir le lointain.

Dans le secret de la nuit, le secret. Et j’appelle les mots, qui ont tout pouvoir sur ma félicité.

Mon âme tremblait comme la flamme de la bougie rouge, comme elle, elle s’élevait dans l’air, puis baissait vacillante. J’allais sur le chemin de la nuit blanche. J’allais à pas feutré. Les mots sortaient des livres, ils prenaient mon regard, le rendaient fou d’intensité. Du temps s’écoula, et les ans passent vite.

Elle posait ses clous, elle envisageait le pire dans des scénarios catastrophes qui enflammaient sa tête. Un sursaut la ramenait à la vie. Tellement plus légère, éveillée, dans ce nouvel espace-temps.

Elle posait ses crampons. Parfois l’harmonie la faisait se prélasser, s’étirer comme un chat.

Je m’imaginais sautiller, chacun va sa marche n'est -ce -pas ? Comme tout somnambule, il ne fallait pas me ranimer. Mais quand je m’éveillais, alors, alors oui je dansais.

En écrivant, elle voulait aller au plus près, mais elle était toujours trop lyrique quand elle voulait témoigner. Qu’en penses-tu, toi qui comme moi prends souvent la plume ?

Je suis trop légère pour être sage. Longtemps endormie au chant de la rivière, le visage cueilli par l’amant, la douce amie que je croyais fidèle. J’aime ce nouvel espoir qui jaillit, comme la brise d’un petit matin dans les Basses-Alpes, le lilas et les iris bordant le chemin.

Je suis trop légère pour être sage, même avec un corps vieilli, ma vision m’appelle toujours par mon prénom. La main de velours de la nuit qui crie pour me surprendre « holà, ta vie aime encore ». Encore les nuages roses dans un ciel bleu, qui passent vite à la tombée du jour, encore la fermeté du mouvement, encore dire oui à la passion.

Je suis en attente. Ce temps qui passe, moi figée sur ma chaise, le tic-tac du réveil, l’esprit qui volette. Saute d’humeur, saute d’images. Masque neutre de l’imagination. Remonter jusqu’à la source de ma pensée. Tout tendait vers la caresse, vers toi.

Que fais-tu de ce qui t’a été donné ? Hier encore tes lèvres tremblaient, ta mâchoire claquait. Mais ce soir, pleine et légère, le rêve sur ta langue, vers toi le verbe. Douceur du corps. Vêtue de l’estime que tu te portes, tu ondules sous le vent. S’ouvre la porte ornée de l'utopie, dans ta marche tout reste ouvert ; installée sur terre, n’a prise que la belle illusion.

Je peux toujours manger une pomme rouge pour passer le temps. La nuit sera longue sans les brillantes étoiles. J’atteins ce but où ma voix devient tâtonnante pour trouver les mots qui, perdus d’avance, dans l’oubli du monologue, jouent, ces mots ronds, aux dés. Pour cela je dois rester dans une légère prévenance, roulent rapides les impressions, qui m’apportent suivant l’humeur, joie ou tristesse.

Ciel vide de bleu, aplat grisâtre. Ciel vide, inaccessible présence. Mes vœux étaient dérisoires devant ce gouffre. Qu’appeler ? Tout n’est qu’un long poème à l’éphémère. À moi de remplir ma page de signe, à moi de comprendre la marque de mon passage.

Janvier – février 2014


© Francine Laugier, août 2014.
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