Francine Laugier - Sans titre

Sans titre

J’ai vu le mal en face. Je n’ai pas bronché. J’ai vu le mal et il ne m’a pas froissée. Il m’a fait redescendre dans mon vide intérieur, j’ai retrouvé les clés de ma maison. On ne peut parler du mal que par images, car il n’existe pas. Il glisse comme du sable. D’ailleurs le diable ne se montre jamais. Il se faufile dans les êtres, qui honteux cachent leur visage. Il passe et terrasse ceux qui y prennent goût. Verrai-je encore la jeune fille souriante ?


Aujourd’hui des hommes se noient, des hommes sont jetés à la mer, la méditerranée est devenue un cimetière. Des femmes enceintes, des enfants, la mer engloutit. Embarcations chargées, rafiots coulés, la mer avale. Le rêve, et la funeste fin. C’est la mer à boire, c’est immense... Le rêve est broyé.


Dans une journée il y a des moments de profondeur où j’embrasse ce qui à d’autres moments me passe inaperçu. Je suis alors en phase avec ce qui vit, c’est ce qui augmente ma compréhension. J’habite mieux l’espace et l’instant. J’expérimente un au-delà du rêve et de l’éveil. Dans l’expérience, une expérience polysémique, où pourtant je ne me perds pas ; elle donne œuvre sur mon établi, comme une vue perçante, j’atteins au but.


S’ils étaient tournés vers moi ses mots, s’ils étaient pour moi ?

Je me les lis à haute voix. S'arrêta ma pensée vers elle, ainsi que nos souvenirs. Le présent demandait son lot d’émotions et elle n’en était pas. Je m’appuyais sur cette absence, je me projetais plus loin encore. Je sus que ma vie serait solitude, mais pleine de ce murmure cher à mon cœur. Je n’avais pourtant rien perdu, je m’étais plutôt enrichie.


Moment de solitude tant désirée. Temps consacré à l’écriture. Elle est toujours un exploit sur la compréhension qui me guide, comme une lampe éclairant mon chemin. Énormément de peines dans ma vie qui obscurcissaient mon dessein, me voici dans une marche assurée, où le but est d’avoir une vie pleine dans ce désir fou qu’est la vie. L’essentiel maintenant est de gagner sur cela même qui enchaîne, qui veut me faire chanter faux, me faire croupir dans la masse anonyme. Libre je suis.


J’aimerais bâillonner ma fatigue. À bas la réalité perdue dans le rêve, que j’invente le sens de mon étonnement. La fougue de mon mouvement intérieur m’annonce une fin de bataille. Après tant de témoignage me restent les recettes de vie ; c’est sérieux comme des yeux qui captent la brise dans les branchages, la beauté de cette église de style baroque, où les mouettes planant dans un ciel bleu. Matriarche de mes mots, que mon expérience rend pratiques et significatifs, comme les sillons que fait une charrue.


La réalité revient, brutale comme la corne des rhinocéros quand ils s’affrontent. L’anxiété est devenue brumeuse. Disparu le complexe de Caïn, foudroyant symptôme. Nous sommes embarqués, sans choix aucun, dans ce typhon qui aspire notre moelle épinière, l’essence même de ce qui nous tient droit. Quand la blessure est refermée, n’est plus narcissique, nous revenons à nous, le corps flétri mais l’âme en paix. D’autres alors prennent la relève, j’aimerais tant leur enlever cette épine du pied.


Seuls l’amour et l’écriture sont fidèles, me comblent même quand mon intimité est violée. Je suis chaste toujours sous le regard de la marâtre, et de l’étroitesse d’esprit. Nous avons fait un plongeon avec apnée de sentir le sol pollué par tant d'aversions. Bravant la terreur nos amis ont conjuré le sort, comme des lions, et nous tigres dans notre solitude nous pesons, comme au début des humains, nos âmes vives, saines et fidèles.


Faut-il perdre son temps ? Laissez, vous ne comprenez rien à ma joie. Prendre au rebond, avant que ne s’envole parole au vent. Laissez, vous ne comprenez rien à ma peine. Ô mes seize ans ! Puis le bonheur se compta en jour, sauf ma peine qui est cruelle. Le sablier est le même pour tous. Plus subtil est le sablier de l’oubli, jusqu’à ce que ne revienne, avec la mémoire, la vie volontaire. Taisez-vous, vous ne comprenez rien au devoir, je suis fille de la terre.


La matière fait de l’ombre. Comment ne comprenons-nous pas ? Une pensée pour la paix, vers nos plus belles actions. « Un au-delà du bien et du mal », l’horizon du vivant, comme… et là je ne trouve pas d’exemple, je ne suis pas prophète mais seulement écrivain.





Francine Laugier, mai 2015.



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