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»Francine Laugier
Quelquefois nous paraissons heureux
IC'EST UN VILLAGE DE LAVANDE
J'aimerais vous parler, comme un jour, de ces hommes dans la ville. Vous parler encore, comme un jour, de cet homme que je n'ai jamais rencontré. Ma ville est un port de Méditerranée. En réalité il n'y a plus de ces hommes qui traînent le soir. Ceux qui pourraient me parler de leur ailleurs. Ceux avec qui la vie est faite de départs, d'attente et de retrouvailles. Je vous disais que je n'avais jamais, pourtant habitant dans un port, rencontré de marin. Je ne trouvais pas ça normal. Vous parler encore. Vous me demandez : « Pourquoi me racontez-vous cela ? » Vous répondre encore, comme un jour : « Pour rien ».
*
Il était tard dans la nuit, seule, j'avais peur, et de derrière mes persiennes, je guettais ce qui se passait dans la rue. À un moment, passe un couple. Et j'entends l'homme dire à la femme, « surtout n'aie pas peur, je suis là ». J'ai essayé d'écouter encore ; mais rien. Je n'entendais plus que leurs pas s'éloigner. J'ai vu leur silhouette, la voix chaude de l'homme, et la jeune femme déterminée à le croire. Elle avançait plus vivement que lui. « N'aie pas peur je suis là. » Et puis un bruit dans le sac poubelle en papier. L'autre, sous la voiture, qui miaule avec un souffle long. Les chats se battent la nuit.
*
Lui non plus ne la quitte jamais. Il part sans éteindre sa cigarette, et souvent il ajoute : « je ne sais pas encore ce que je vais faire ».
*
Noté au matin
Il est des moments J'entends Le frissonnement des draps
Le silence Alors de Moi Jusqu'à Toi
Ma gorge Comme un rocher aride Rauque sort ma voix
Toujours Après on ne sait plus L'amour
Alors Comme pour se retrouver Dans le rite de la clope qu'on fume
Est-ce ma faute d'être à deux Que le monde nous reprend Si vite
Tu chantes Tu te rhabilles En toi comme un délice
Comme le deux donne le un Comme le un donne le trois Comme
Dans le bar D'où j'écris Le rêve
Dans la fraîcheur de l'amant Paroles et silence
*
L'ami était de retour, de passage dans la ville.
De leur camaraderie restait le souvenir de quelques poèmes lus le soir, tous les trois installés sur le lit. Puis une brève correspondance où l'on se disait « où on en est » de ce que l'on écrit, de ce que l'on pense prochainement écrire. Ces réflexions perdues dans le répertoire des revues qui pourraient peut-être le publier.
Cela les amena à se revoir quand, de passage dans la ville, il donna de ses nouvelles.
Ils restèrent un moment autour d'un café, à bavarder sur les derniers événements littéraires. Puis ils se séparèrent avec le sentiment du devoir accompli et se promirent de se tenir au courant.
*
J'ai voulu écrire à un ami lointain, un militant, un anarchiste. Je pensais avoir un tas d'idées à lui dire. J'avais envie de les aborder avec lui. Et puis je ne sus plus comment l'aborder lui. Alors je décidai de lui écrire simplement une phrase copiée dans un livre : « la loi n'est pas le fondement. Le fondement c'est la question ». Et j'ajoutai : « s'engager, n'est-ce pas revenir à la question ? Le militant n'est-il pas celui pour qui aucun fondement n'est une loi ? » J'avais envie de lui parler de l'auteur, mais la peur de n'être pas comprise me fit désespérer. Je lui souhaitai donc une bonne année, puisque nous étions encore au mois de janvier, et je lui dis à bientôt en pensant que, peut-être, par hasard...
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Au bar qui fait l'angle, avec la terrasse, un jeune homme s'approche et me dit : « Vous écrivez de la poésie ? » Je lui tend ma feuille, et au lieu de me lire, il me répond : « Je n'y comprends rien ; je ne suis pas assez intelligent. »
Tout en rangeant mes affaires je pensais à l'absurdité d'en être arrivé à un tel terrorisme.
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Je suis allée après la peur J'ai dépasse ma honte Sur moi j'ai longtemps pleuré Plus près, c'était Autre chose que la confidence
Je demandais — j'appelais Les contradictions disparurent Je sentis, j'ai senti La justesse.
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Le Sud, qu'est-ce que c'est ? — Depuis si longtemps. Je ne ressens plus l'absence — et moi qui ne le savais pas — on rit de lui. Mais tout ça c'est fini — de le dire, ça me fait pleurer — Le camionneur qui m'a prise en stop me demande d'aller faire l'amour — L'érotisme. Quelque chose qui fut sans pitié — on voyageait à mon époque. On voyageait, c'était terrible — et le mélange des époques— elles sont trop vieilles et je suis si jeune encore — je garde la chambre d'hôtel, seule jusqu'au lendemain — un monde sillonné de routes —
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J'avais une amie qui disait toujours : « j'ai eu une époque où..., une époque où j'étais ci, une époque où j'étais ça ». Me voici dans l'époque où je ne me souviens plus de mes rêves. Ils demeurent surtout des impressions ; je me réveille avec une sensation d'approcher — continuer peut-être — je ne sais plus quoi exactement. Au réveil reste un bien être ; je me sens satisfaite. Puis très vite, une mélancolie. Je suis peut-être dans mon époque de grande nostalgie.
J'aimerais bien quand même me souvenir de mes rêves. Tous le jour j'attends. J'essaie de voir des images. J'attends d'un mot qu'il soit la clé. Le soir arrive sans que je n'ai trouvé ce rêve, ni ce qu'il me disait de poursuivre. Je me couche. Puis je me lève avec un rêve qui a encore disparu. Différent de l'autre, il dit pourtant la même chose à savoir, à poursuivre. Et il m'offre cette même promesse de paix, à condition que je m'en souvienne.
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« Pour retrouver ton ami, ça ne doit pas être bien difficile. Surtout à la campagne. C'est le genre de gens, ils se marient, ils montent la maison et ils sont sur le minitel. »
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Dans le jardin public, un jeune couple qui s'embrasse. Avec quel sérieux ! De temps en temps, le garçon lève la tête, regarde autour. Alors la jeune fille s'agrippe à lui, le ramène à elle et ils s'embrassent encore sérieusement.
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Ce ne sont plus des rêveries. C'est plutôt de l'imaginaire. J'ai l'impression d'en avoir en trop. Comme s'il voulait se frayer un chemin pour devenir autre chose : des mots, du sens.
Je suis contre lui, et je pense : « je vais me marier avec lui ». Cette pensée prend un sens inouï. Comme si l'image du mariage que j'avais était restée enfouie, en moi. Le mariage, est-ce que j'y pensais quand j'étais plus jeune ? Je n'aimais pas les couples autour de moi. Je crois que j'évitais l'idée que je puisse me marier. Et plus je la fuyais, plus ce que j'en pensais, le désir que j'en avais, se gravait en moi. C'est idiot.
*
Je viens pour vous dire votre désir de moi Je ne viens pas masquée
Dans mon corps à nouveau Je découvre un calme Un espace qui s'ouvre
Votre regard sait La rencontre Dans votre cou ma tête plonge
J'avale vos paroles M'enivre L'odeur de votre souffle
Vos caresses m'étendent Souple Vos caresses font de moi du velours
On s'appelle Pénètre votre voix Je dis votre nom
*
C'est un village de lavande. Je n'y suis jamais allée.
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Extraits parus dans Doc(k)s et Lieux d'être
© 1987, Francine Laugier
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