Francine Laugier - Terre, terre


Mais qui avait joué aux dés ?

Notre passion du monde n’est pas notre trahison. La porte-fenêtre grande ouverte, notre pensée voleuse, sur ce que nous offre de meilleur la flamme qu’habite notre corps. Sauter de pierre en pierre sur la ouate du paravent brumeux, trouver une certaine beauté à la vie. Apparaître, avant et après dans ce présent, comme dedans la poitrine un point bat pour réveiller nos sens, pour toucher du doigt des pensées complexes. Se forment alors des voyages rigoureux. Jouissance, sourire, paroles, égalité du dire. Par à coup l’énergie se diffuse, sort en cascade, ferme le pas aux loups, quand Séléné, comme pour abreuver mes terres solides, éclaire les poètes.


Petite brèche entre moi et le monde. Je ne peux combler ce manque, cette absence. À bout de bras monter la corde à nœuds de mon esprit. Réparer, laver le linge où j’ai transpiré, mourir un peu là où j’oublie. Comprendre ma part de labeur. Je ne sais plus, je ne sais plus. Tout commence par la première histoire d’amitié, l’amour suit de très près, quel « jeu de rôle » ensuite, jusqu’à se trouver adulte, désarmé et armé à la fois.


Ici aussi nous avons de beaux ciels. Je dis bien ciels et non cieux, qui impliqueraient un monde fixe.

Sous d’autres cieux je me promène, apaisée, posture du bonheur : la souffrance a fini son cycle.


Pourquoi se passer d’un tel plaisir ? Raconte aux arbres ta déception. Prendre du plaisir serait alors dévorer ce tourment. Corps tenace, atteindre la certitude, esprit libre.

Danser sur la page blanche, rêver tout haut d’un s.o.s. qui arriverait à bon port. Pour ce faire je mange de la page blanche. Avant : la maison, un abri, et en même temps je me sentais seule. Je me sentais si seule.


Comme en sursis, tes petits plaisirs te grignotent. Dans l’entre-deux rayonne le temps qui fait passer les mots définitifs. Poser ton esprit, l’or et l’argent, en anneau non fermé. L’avant est advenu à propos. Devant la passerelle de la sagesse : des cerceaux fleuris de délicats lauriers blancs où t’attendent en grappes les mots murmurés, parfois sous les étoiles.


La folie voyante et l’échafaudage du temps. L’arbre emporté par le vent, et la folie clairvoyante regardait les immenses vagues. Ils passaient par le feu, la mort certaine. L’espace petit comme un mouchoir de poche. Je ne suis pas un petit animal.

Je fus fière à oublier la beauté de toute vie, je craignais les humains, une étoile au front. Clairvoyante elle se dit : je fais confiance à la vie. Je fais confiance maintenant à mon esprit.


Je t’ai envoyé la beauté, si belle à regarder. Même perdante, je suis gagnante. Mon action touchait juste, le point culminant de la culture. Le géant qui mettait les pieds sur la vallée, que la mère ne soit pas morte pour rien. Que j’engrange force de caractère. Je porte les malheurs d’une civilisation : pauvreté frappe à ma porte.

Anges déchus ils sillonnent les villes, la même vie éclabousse l’outrage. Ils n’ont pas joué la même carte que moi, mais avec la ferveur du désespoir ils ont joué leur vie.


Ton cauchemar tombe dans le vide. Comme boule de neige que les enfants s’envoient, ton rêve étrange tombe dans la vie. De qui parlais-tu ? D’écorchures et de pleurs.

Je vais peut-être m’endormir à tes côtés, puisque l’orage ne touche plus mes nerfs, et que tu dors encore. Pourvu que « la fourmi » n’endorme pas ma main ! Est-ce que le battement de Marseille me bercera ?


Mes souvenirs vident la sève de ce qui veut me détruire : maladie, mort, ennui, voix aiguës... Dans mon vase vide, que j’ai préféré à un bouddha d’argile, j’attends les colchiques. L’œil est devenu bouche, j’écoute vaguement la radio. L’œil à un regard. C’est déjà plus rassurant. Nul besoin de « la maison de fer » de Caïn, ma jalousie m’a quittée jour après jour. De jour en jour ne compte que mon labeur. Ma devise est « ni diable, ni dieu, ni maître ».


L’instant fit arrêter le cube du hasard sur une de ses arrêtes.

Mais qui avait joué aux dés ? Nous les rangeâmes. Nous nous voulions maîtres de notre destinée. Les enfants recommencèrent à jouer aux osselets dans les cours d’écoles. Chez les adultes, chacun se refile la patate chaude, en espérant gagner son coin de paradis. Comment juger ? Nos corps engagés pourtant ! Les chemins bifurquent.


Ils ne voyaient plus le soleil. Comme les taureaux de Camargue, ils ne voyaient plus le rouge. Le cœur dans la pierre, ils regardaient couler le sang. C’était pourtant temps d’armistice, c’était pourtant temps de raison. La bête se laissa faire croyant qu’elle était la dernière, mais les hommes assoiffés de sang, les nerfs à vif, laissaient le torero mourir dans son costume d’or et de paillettes. Quand tout reprit son cours, ils se regardèrent désolés, mais la soif de sang ne les quittait plus.





Novembre 2014, Francine Laugier




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© Francine Laugier, novembre 2014.
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